Elle est photographe professionnel et en même temps cadre supérieure dans la finance. Elle élève aussi trois enfants. Peut-on réaliser l’impossible ? Sophie Rouillon est la preuve vivante que Oui !
Portrait d’une femme épatante et d’une artiste inspirante…
Pouvez-vous nous raconter comment est née votre passion pour la photo ? Ma passion pour la photo remonte à l’enfance. Je passais des heures à feuilleter les magazines du National Geographic, riches en photos de reportage et de voyages. Je les trouve magnifiques, emplies d’inspiration, et surtout elles portent systématiquement un message fort, une émotion.
J’aime également les photos de rue, en particulier des photographes emblématiques de la vie parisienne des années 1920 et de l’agence Magnum – Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Brassai, Martine Franck. Chacun a son regard, son humour, sa sensibilité et souvent une mélancolie. Henri Cartier-Bresson parle de “l’instant décisif”, j’aime beaucoup cette expression, car elle fait référence à la rapidité et l’intuition nécessaires pour la prise de vue. Souvent je visualise la photo que je vais prendre, avant même que la scène ne se produise.
Robert Doisneau Henri Cartier-Bresson Brassai Martine Franck avec Cartier-Bresson, 1971
J’ai reçu mon premier appareil photo à l’âge de 10 ans. Mon père me l’avait ramené d’un voyage en Californie. J’étais tellement fière ! J’ai ensuite commencé à développer mes photos noir et blanc à la maison et au club photo du lycée Victor Duruy à Paris. Je me baladais dans les rues de Paris, avec un appareil photo en testant différentes techniques. J’ai fait beaucoup d’erreurs, mais l’important était d’essayer ! Adulte, j’ai suivi des cours de photo au Central Saint Martins College of Art and Design à Londres, et ensuite une formation avec l’agence Magnum, qui m’a enseigné comment raconter une histoire à travers des photos contenant des messages forts. J’ai aussi travaillé en tant que photographe pour les Studios Harcourt à Hong-Kong, où j’ai approfondi ma connaissance sur la lumière et les portraits et comment trouver le meilleur angle des visages.
Votre père aime aussi beaucoup cette activité et vous a transmis ses propres appareils. Est-ce souvent une histoire de famille ? Pouvez-vous nous raconter l’influence de votre père et de votre mère dans votre art ? Mon père a toujours aimé la photo et il possédait de nombreux appareils. Dans un premier temps, j’ai utilisé son matériel de développement et je passais des heures dans une petite pièce noire avec une lumière rouge à développer mes photos. Il y a quelques années, il m’a donné son argentique Hasselblad 500CM. J’étais tellement impressionnée par cet objet culte ! j’ai pris du temps à le prendre en main ! C’est un travail complètement diffèrent du numérique. On prend le temps, il y a une vraie réflexion car on n’a pas le droit à l’erreur, mais le résultat est magnifique. Le grain est différent des appareils modernes.
Une histoire de famille ? Oui, complètement. Mes parents sont friands de musées et d’expositions. Petite, cela m’ennuyait de passer des heures dans les musées, mais c’est ainsi que j’ai développé ma culture visuelle, mon œil et ma sensibilité. Maintenant, j’adore aller voir des expositions pour le plaisir des yeux et pour l’inspiration.
Quels ont été vos premiers « chocs » picturaux ? Des artistes en particulier ? Comme je l’ai évoqué dans la première question, je me suis longtemps nourrie des photos du National Geographic et des photographes de l’agence Magnum. J’ai formé mon œil grâce à leur art. Je suis sensible au travail des photographes Sarah Moon et Peter Linbergh pour leurs magnifiques portraits de femmes. J’aime beaucoup la peinture, les impressionnistes, l’art moderne et surtout Matisse. Je m’en inspire parfois pour les couleurs et les compositions.
Mon premier choc pictural est le Tigre dans une tempête tropicale du Douanier Rousseau que j’ai vu à la National Gallery de Londres quand je devais avoir 10-12 ans. L’ambiance est très animale. Le style naïf, les couleurs, la tempête et la jungle luxuriante avec les arbres en mouvement. Et ce tigre, signe de force et de sagesse, prêt à rugir ! Le chaos va arriver !
Vous avez vécu de nombreuses années à l’étranger, en Angleterre et en Asie, à Hong-Kong. Pouvez-vous nous décrire comment ces expériences ont nourri votre art ? Londres est un centre culturel incroyable avec ses musées, ses galeries avant-gardistes et je m’y suis régalée ! Il y a une véritable ébullition artistique. Je pense que l’Angleterre m’a beaucoup influencée par son coté traditionnel, classique mais aussi non conventionnel, voire excentrique, et plein d’humour. J’ai eu la chance de vivre à Hong-Kong pendant 15 ans et je n’ai cessé d’être inspirée par cette ville, ses rues, les gens et ses contrastes. Bien que la ville soit un tourbillon humain 24/7, il y a toujours un sentiment de vide et de solitude. En même temps, la spiritualité est très présente. Cela se sent dans la ville mais aussi la nature, qui recouvre 80% du territoire de Hong-Kong.
En Asie votre travail a été largement plébiscité à travers des expositions collectives. Quel est le regard des gens sur le travail d’une photographe française ? On m’a dit que j‘avais un œil européen et que je suis intuitive dans ma prise de photo. Etant étrangère, non locale, j’ai peut-être un regard neuf, extérieur, par rapport aux photographes locaux.
Outre votre travail de photographe, vous êtes aussi maman de trois beaux enfants et vous occupez des fonctions importantes dans des structures financières. Est-ce parfois difficile de concilier vos passions ? D’où vient votre force dans l’accomplissement ? Non ce n’est pas difficile parce que cela m’amuse et j’en ai besoin pour me sentir alignée. Cela fait partie de mon équilibre. J’aime être maman, m’occuper de mes enfants, et surtout leur faire découvrir des endroits et des expériences. J’ai besoin de travailler dans le monde de la finance pour le coté intellectuel et le dynamisme, en faisant partie de projets en équipe. C’est passionnant de travailler sur des sujets qui touchent l’actualité et de rencontrer des gens souvent brillants. Mais j’ai aussi besoin de nourrir mon coté artistique en me connectant a l’émotionnel, à la création et en faisant de belles rencontres plus personnelles. C’est un autre rythme, plus solitaire car on regarde le monde à travers une optique. Cela m’apaise et me nourrit.
Je ne sais pas si c’est une force. Je m’ennuie vite si je fais toujours la même chose. La spiritualité a pris de l’importance dans ma vie suite à la séparation avec le père de mes enfants. La méditation m’a permis de gérer les stress de la vie personnelle, quotidienne et professionnelle. Depuis, je me suis formée aux soins énergétiques Reiki et Pranathérapie. Ma vie a pris une autre dimension et j’en suis heureuse.
J’ai besoin de nourrir mon coté artistique en me connectant a l’émotionnel, à la création et en faisant de belles rencontres plus personnelles. C’est un autre rythme, plus solitaire car on regarde le monde à travers une optique. Cela m’apaise et me nourrit.
Votre œuvre est riche de thématiques diverses, dont la nature et le silence. Pouvez-vous nous évoquer les thèmes qui vous plaisent ? J’aime la photo de rue pour capter l’instant décisif avec les gens, l’animation, les mouvements circulaires ou répétitifs, les ambiances lumineuses, les reflets et trouver des points de fuite. J’aime les photos de voyage pour capter l’essence d’un pays à travers ses gens, les villes et surtout la nature. J’essaie de trouver des scènes singulières. C’est l’un de mes plus grands plaisirs.
Je suis très attachée à la mer. Je retrouve une force, un cycle avec les vagues et une sérénité et j’espère les transmettre à travers mes photos. La nature me procure les mêmes sensations.
J’ai beaucoup fait de portraits où je mettais en scène des familles dans les rues de Hong-Kong. C’était très amusant à faire, j’ai fait de belles rencontres et le résultat était souvent plein d’humour. Je me concentre maintenant sur les femmes pour des portraits artistiques et les aider sur la confiance en soi. C’est un très beau travail thérapeutique. Il faut être intuitif et psychologue, poser un regard bienveillant afin de les mettre à l’aise. Je travaille sur leur profil, leurs mains et leurs atouts, afin de les embellir. Je cherche aussi à les sortir de leur zone de confort ou au contraire faire ressortir une certaine naïveté. J’essaie de capter le reflet de leur âme. Il y a une véritable connexion avec le modèle. Il se passe à chaque fois quelque chose de magique pendant ces séances.
Les portraits sont un point fort dans votre art, et vous avez réalisé de nombreuses images pour les studios Harcourt. Est-ce que cette expérience vous a beaucoup plu ? J’ai eu la chance incroyable d’avoir été formée par les studios Harcourt et d’y avoir travaillé en tant que photographe. J’ai pu y apprendre la lumière, comment la poser sur les modèles afin de sculpter leur visage pour les embellir. Les gens deviennent vraiment beaux sous cette lumière créée sur mesure. C’est émouvant ! Cela m’a aussi permis de renouer avec la peinture classique et hollandaise du XVIIème siècle, comme source d’inspiration pour les poses et le travail de lumière.
Les prises de photos sont souvent longues car il faut travailler sur les poses , poser 8 lumières continues sur le modèle sans que le modèle bouge, et donner un rendu cinématographique magnifique. Pour ma part, je préfère la spontanéité, mais j’applique les techniques apprises chez Harcourt (lumière et travail du visage et de la pose).
Est-ce que la photographie permet des rencontres privilégiées avec les gens, le temps d’une pose ou d’un croisement de regards ? Absolument. Comme je l’ai évoqué plus tôt dans l’interview, il y a une connexion qui se développe avec le modèle tout au long de la séance. J’essaie de capter le reflet de leur âme. Elle est intuitive et progressive. Souvent le modèle est intimidé au début, mais mon travail est de la mettre à l’aise et en confiance, de travailler sur des poses qui lui sont confortables. Elle sent mon regard bienveillant, et souvent cela lui permet de sortir de sa zone de confort et se transforme en « papillon ». C’est toujours une grande joie de voir cette libération. C’est un échange fort et énergisant.
Les voyages vous ont aussi beaucoup inspiré. Quelles ont été les plus belles expériences pour vous ? J’adore voyager ! Mes parents m’ont donné ce goût de la découverte à travers nos voyages en famille. Cela renforce la curiosité et l’ouverture d’esprit. A 18 ans, j’ai pris le billet InterRail et j’ai parcouru l’Europe de l’Est, car le mur de Berlin venait de s’effondrer. Cela a été une première étape marquante dans ma longue vie de baroudeuse ! J’aime aussi beaucoup les voyages découvertes. Voyage à cheval au Pérou, ou en Mongolie à dormir à la belle étoile.
J’ai fait plusieurs safaris plongés en lien avec mon amour pour la mer et ses fonds marins. J’ai mis en pause la plongée il y a quelques années car les fonds marins étaient trop appauvris. C’est vraiment dramatique. Je suis en train de monter avec mon amie Anne Dubin l’ONG SEA GENERATION, pour la restauration du récif corallien de l’île Boracay aux Philippines. Cette ONG a pour but d’accompagner la communauté locale à protéger l’environnement marin, afin d’assurer le futur des générations à venir. J’espère que c’est le début d’une longue aventure qui aura de l’impact.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui aimeraient se lancer dans la photo, mais qui hésitent ? Se lancer dans la photo peut être intimidant car on dévoile une partie sensible de soi-même par son art, il y a une certaine mise à nu. On peut être vite découragé car le milieu est très compétitif. Mon conseil premier est de s’amuser, de ne pas avoir peur d’essayer et de faire des erreurs. Il faut essayer de sortir de sa zone de confort. C’est important aussi de montrer son travail à des professionnels qui peuvent conseiller et porter si possible une critique bienveillante ! Et surtout il faut continuer à regarder des photos d’autres artistes pour alimenter l’inspiration. Les réseaux sociaux sont un excellent outil pour montrer ses photos et avoir des retours.
Avez-vous un rêve particulier pour 2021 ? Depuis que je suis rentrée en France, voilà un an après 28 ans d’expatriation, j’ai lancé plusieurs projets qui me tiennent à cœur, dont l’activité photo, les soins énergétiques et l’ONG, mais qui mettent du temps à mettre en place. Mon souhait est que chacun de ces projets avancent et même aboutissent cette année. Je devais participer à une exposition collective dans la région bordelaise qui a été annulée en raison du confinement. Je croise des doigts pour qu’elle soit reprogrammée d’ici la fin de l’année !
Biographie
1993: Sophie Rouillon réalise ses études supérieures à Londres, au prestigieux Imperial College.
2002-2003: Formations photo à Central Saint Martins College of Art and Design à Londres.
2004: Départ pour Hong-Kong.
2014 : Début activité photographique en professionnel.
2015 : Magnum Workshop Hong-Kong avec le photographe Thomas Dworzak. Travail disponible sur le site sous le portefeuille prosperous business.
2016-2017 : Photographe professionnel pour les studios Harcourt.
Mai 2016 : Vente aux enchères d’une photo pour le Gala du LFI (Lycée Français International de Hong-Kong).
Mai 2017 : Vente aux enchères d’une photo pour le Gala du LFI.
Mai 2018 : Vente aux enchères d’une photo pour le Gala du LFI.
Mai 2019 : Exposition collective d’art “Beyond Borders”, pour l’ONG les Enfants du Mekong, intégrée dans le programme du Festival du French May à Hong-Kong.
Novembre 2019 : vente aux enchères d’une photo pour le diner de charité du PSE (Pour un Sourire d’Enfant) à Hong-Kong.
2019 : Retour en France, Paris.
Sites professionnels: https://www.sophierouillon.com; https://www.instagram.com/sophierouillon88/
Mon conseil premier est de s’amuser, de ne pas avoir peur d’essayer et de faire des erreurs. Il faut essayer de sortir de sa zone de confort.
Sophie Rouillon