Il est à la tête de la seule unité montée des Forces Armées, dont la splendeur fait honneur à la France partout à l’étranger. Le colonel Gabriel Cortès, commandant du régiment de cavalerie de la Garde Républicaine, embrasse ses fonctions avec le calme et la grandeur d’âme d’un personnage de Stendhal. Histoire, tradition et savoir-faire sont intimement liés et contribuent au renom de la Garde, comme il nous l’explique. Entretien avec un homme de passion, au quartier des Célestins.
Vous avez pris le commandement du prestigieux régiment de cavalerie en août dernier, au terme de plusieurs années au sein de la Garde Républicaine. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez ressenti et comment vous vivez vos nouvelles responsabilités ?Commander le régiment de cavalerie est un grand honneur. J’éprouve il est vrai une véritable fierté à me trouver à la tête de cette unité atypique que je connais bien pour y avoir servi plusieurs années à différents postes de responsabilités. C’est comme si mes précédentes affectations, depuis la première d’entre’ elles comme lieutenant au début de ma carrière, m’avaient préparé à occuper cette fonction. Aussi, est-ce avec enthousiasme et sans appréhension particulière que j’exerce mon commandement, sachant pouvoir compter sur l’ensemble de mes subordonnés à qui je fais confiance. Ma conception du commandement se nourrit de deux formules qui pourront vous éclairer sur ce point. La première : « Un chef est un homme qui a besoin des autres », de Paul Valéry. La seconde : « Quand j’entends les talons qui claquent, je vois les esprits qui se ferment », du maréchal Lyautey. Je souhaite que le travail individuel soit exercé au profit de la collectivité et, comme à cheval, je sais que la décontraction n’empêche pas la concentration.
Pour beaucoup de Français et d’étrangers la Garde Républicaine symbolise l’excellence française. Comment expliquez-vous la magie qui opère chaque année le 14 juillet lors du défilé ? Vous avez parfaitement raison d’évoquer le symbole d’excellence française que représente aux yeux de nos compatriotes et des étrangers la Garde républicaine. En effet, cette entité, composée de deux régiments d’infanterie et d’un régiment de cavalerie, maintient à haut niveau le protocole de l’État. Son éclat rejaillit, c’est certain, sur la perception qu’en a le public. Il ne peut que contribuer à l’amour du pays. Cette partie visible – défilés du 14 juillet, prises d’armes présidentielles aux Invalides, services d’honneur dans les palais nationaux, etc. – suppose un entraînement exigeant. C’est à ce prix que l’excellence dont vous parlez peut être maintenue. La codification très stricte des mouvements d’ensemble, la rigueur dans l’exécution des ordres, le soin apporté à l’entretien du matériel, le brillant des uniformes, la qualité des chevaux et de leur dressage, visent ce même impératif d’excellence.
La « magie » du défilé du 14 juillet est, en ce qui concerne mon régiment, étroitement liée à l’emploi des chevaux qui, peut-être plus que par le passé où leur présence était naturelle, quotidienne, impressionne et ravit le public – et les chefs d’État en visite. Jean de La Varende, dans un petit essai intitulé Son altesse le cheval (1952), évoque en ces termes l’apparition d’un cheval au milieu de la circulation automobile parisienne : « Imagination sans pareille que ces milliers de chevaux-vapeur courant les Champs – Elysées, lâchés et frénétiques, mais qui s’arrêtent pile, respectueux, frémissants, quand surgit dans son indolence seigneuriale, le seul, le dernier, son Altesse LE CHEVAL. »
Peut-on parler de splendeur qui résiste au temps ? Oui, certainement. Nos chevaux, des selles français, sont issus des chevaux de demi-sang qui avaient été élevés entre la guerre de 1870 et celle de 1914 pour remonter la cavalerie française ; nos uniformes sont calqués sur ceux que portaient nos Anciens au du début de la IIIe République ; nos harnachements sont les mêmes que les leurs ; nos sabres sont du modèle 1822, etc. Tous ces éléments, ancrés dans l’Histoire, contribuent au lustre du régiment, dans la partie de ses missions qui relèvent du protocole de l’État – car nous sommes Gendarmes, ne l’oublions pas, et beaucoup de nos missions aujourd’hui relèvent de la sécurité publique à cheval. Donc, oui, une forme de splendeur résiste au temps, le traverse, porteuse d’un symbole d’ordre métapolitique très fort que je perçois de la manière suivante : les gouvernements passent, l’État reste. Le maintien de nos traditions ne relève donc absolument pas d’une sorte de folklore suranné, mais constitue un ciment national dont la pérennité rassure et dont la force symbolique, étroitement liée à l’image de la France, est évidente.
Pouvez-vous nous décrire le rituel de préparation avant une cérémonie officielle ? A l’approche d’un « grand service » à cheval, celui-ci est précédé d’une répétition qui mobilise les esprits et prépare cavaliers et chevaux à accomplir la mission. C’est une manœuvre importante, dans les conditions les plus proches de jour-j, qui permet de vérifier que tout soit en place et notamment que les chevaux se comportent convenablement. Avant le rendez-vous officiel, les harnachements sont briqués, les sabres sont astiqués, les bottes sont lustrées, les cuirs sont blanchis, les casques retrouvent leur brillant, en bref, tout devient rutilant. Quant au matériel, ce sont donc plusieurs heures de préparation qui sont nécessaires. Quant aux chevaux, qui sont toilettés, sabots vernis, damier réalisé sur la croupe pour l’occasion, ce sont en réalité plusieurs mois, voire plusieurs années de préparation qui sont nécessaires à la réussite de la mission. Car nous récupérons le grand jour les fruits du travail de gymnastique effectué avec eux chaque jour de l’année, et surtout les liens de confiance, d’entente, de complicité que nous avons pu nouer avec nos montures. A cheval il faut du temps. James Fillis, le fameux écuyer du XIXe siècle, disait à cet égard « Aller doucement en équitation, c’est être sûre d’arriver vite. »
Le maintien de nos traditions ne relève donc absolument pas d’une sorte de folklore suranné, mais constitue un ciment national dont la pérennité rassure et dont la force symbolique, étroitement liée à l’image de la France, est évidente.
Colonel Cortès
Lors d’une cérémonie officielle, j’imagine que vous vivez intensément son déroulé. Quel est en général le moment le plus marquant, le plus symbolique ? C’est sans aucun doute le moment – ou le rituel – du salut à l’étendard. Le régiment est alors rassemblé. Je l’ai passé en revue. Chaque escadron est à sa place. La fanfare est présente. Le porte-étendard, à cheval, escorté par deux autres cavaliers, rejoint en dernier le dispositif et prend position devant le régiment, juste en face de moi. Tous les cavaliers sont dans l’attitude du « présentez sabre ». Je commande « A l’étendard ». La fanfare sonne ce refrain historique et les commandants d’unité saluent l’étendard bleu-blanc-rouge portant la devise « Honneur et Patrie », décoré de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre TOE. Dans ses plis sont inscrits quatre batailles du 1er Empire auxquelles nos Anciens ont participé ainsi que « Indochine 1945-1954 ». En saluant l’étendard, c’est un hommage à nos morts que nous rendons, à nos morts pour la France. C’est dire, là encore, la force symbolique d’un carré de soie aux franges de fils d’or.
Les éléments d’uniforme sont élaborés avec soin par des artisans d’exception. Pouvez-vous nous parler des symboles qui vous sont chers – du casque, du sabre, des bottes…? Je suis tenté de vous dire que ces éléments d’uniformes concernent les cavaliers comme les chevaux. Les artisans de la Garde travaillent aux profits des uns et des autres. Nous comptons avant tout sur le savoir-faire des maréchaux-ferrants qui sont de véritables artisans, capables de forger les fers « aux trois marteaux » et de ferrer les chevaux « à la française ». Sans eux le régiment ne pourrait pas accomplir ses missions de sécurité ou d’honneur, car « pas de pieds, pas de cheval. »
Les artisans de la Garde sont aussi les fourbisseurs qui entretiennent nos 500 sabres en dotation au régiment de cavalerie, les selliers-harnacheurs qui fabriquent ou restaurent les harnachements ainsi qu’un certain nombre de pièces d’uniforme (les ceinturons, les gibernes par exemple), ou encore les casquiers. La confection des tuniques, des culottes de cheval, comme celle des bottes, sont confiées aujourd’hui à des partenaires extérieurs. Cela dit, nos bottes sont confectionnées par Weston, ce qui est un gage de qualité.
Chaque pièce d’uniforme est porteuse de symbole. Il serait trop long de les citer toutes ici. Néanmoins, en voici quelques illustrations. Nous portons une culotte de cheval blanche et non bleue à bande noire (couleurs de la Gendarmerie) en présence du président de la République – signe d’hommage à la plus haute autorité de l’État. Les casques, du modèle de 1876 communs à la Garde et aux cuirassiers par le passé, sont ornés en cimier d’une tête de Gorgone. Cet animal mythologique pétrifiait son adversaire s’il avait le malheur de le regarder en face. Placées sur le devant du casque, les armoiries de la ville de Paris rappellent le lien historique entre la Garde et la capitale (la Garde fut créée en 1802 pour assurer la sécurité publique de Paris). Les casques des cavaliers comportent une crinière noire, exception faite des cavaliers de la fanfare dont la crinière est rouge. Historiquement, elle était un signe de reconnaissance sur les champs de bataille permettant aux officiers d’identifier rapidement les cavalier-trompettes qui transmettaient leurs ordres. Quant à moi, je porte sur mon casque – seul du régiment – une aigrette blanche qui symbolise la fonction de chef de corps.
En saluant l’étendard, c’est un hommage à nos morts que nous rendons, à nos morts pour la France.
C’est dire, là encore, la force d’un carré de soie aux franges de fils d’or.
Depuis l’an 2000 le régiment s’est féminisé, avec aujourd’hui 35% de femmes. Est-ce que cette présence féminine renforce d’une certaine manière l’élégance du régiment ? L’élégance est la politesse de l’apparence. Mais sous l’uniforme, les hommes et les femmes du régiment ne se distinguent pas spécialement. Ils sont justement « unis par les formes ». C’est l’intérêt d’un uniforme : contribuer, d’une certaine façon, à la création d’un esprit de corps, par la ressemblance des tenues, à l’entretien d’une cohésion nécessaire à la vie en communauté et, le cas échéant, à l’accomplissement des missions difficiles. Cette « uniformité » impressionne également car l’unité visuelle créée un effet d’ensemble qui suscite l’admiration.
Cela dit, la présence féminine contribue d’abord, j’en suis convaincu, à la qualité de l’équitation pratiquée au régiment. Nos cavalières font généralement preuve de patience, de tact, elles « discutent » avec les chevaux, sachant intuitivement qu’un cheval vaincu n’est pas un cheval convaincu. Il est évident aussi que la présence féminine apporte une certaine grâce à cheval, ce qui me paraît très important car le cheval est un miroir de nos attitudes et de nos sentiments.
Existe-t-il des échanges avec la Garde Royale d’Angleterre ou d’autres formations similaires ? Nous entretenons des relations suivies et amicales avec le Household cavalry mounted regiment à Londres. C’est un régiment d’élite de l’armée britannique, appartenant à la Household division (la Maison du Roi). Nous sommes jumelés depuis de nombreuses années. Nous avons de nombreux points communs – exceptées les missions de sécurité publique. Nous sommes jumelés aussi avec le reggimento de carabinieri a cavallo en Italie et l’escuadron de cavaleria de la Guardia civil en Espagne, avec l’escadron monté de la Garde rouge sénégalaise également. Nous échangeons régulièrement avec beaucoup d’autres unités montées dans le monde, telles que l’escorte royale de Belgique, la garde royale du Danemark, la garde royale du Maroc, celle de Jordanie, celle du Qatar, les polices montées du Canada, du Mexique, etc. Le régiment de cavalerie de la Garde républicaine est loin d’être un cas isolé.
La splendeur de la Garde Républicaine passe aussi par sa fanfare et ses musiciens. Pouvez-vous nous parler de l’aura de la fanfare ?Lorsque la fanfare du régiment de cavalerie franchit les portes du quartier des Célestins, résonnant du son des cuivres et des timbales, magnifiée par l’élégance des chevaux en harnachement d’armes, on en oublie presque la présence des cavaliers qui, revêtus de la grande tenue de service, se distinguent pourtant de leurs camarades du rang par la crinière rouge de leurs casques et leurs instruments de musique. Et nul n’a probablement présent à l’esprit en cet instant le fait que le répertoire musical exécuté par les cavaliers de la fanfare est le fruit d’un vieil héritage. Un héritage, donc le résultat d’une transmission, de génération de trompettes en génération de trompettes, à laquelle les trompette-majors successifs ont œuvré, formant comme les maillons d’une chaîne. Le répertoire de la dernière fanfare montée des forces armées françaises fait écho au panache des régiments d’antan, évoquant tout à la fois les cuirassiers, les dragons, les chasseurs à cheval, les hussards, les chasseurs d’Afrique, les Spahis et tant d’autres unités dont l’existence, au combat comme à la parade, fut rythmée par la musique militaire.
Les plus beaux chevaux de France sont montés par vos cavaliers. Pouvez-vous nous dire comment les chevaux ont vécu le confinement, le votre en particulier ? Nos chevaux proviennent très majoritairement de l’élevage du selle français, un cheval plaisant dans sa morphologie en effet, doté d’un bon mental. Ce cheval robuste et polyvalent, était encore, au début du XXe siècle, élevé pour la cavalerie et sélectionné avant tout pour la guerre sous l’appellation de cheval de demi-sang. Nous l’appelons « cheval d’armes ». Nous travaillons avec nos chevaux dans le respect des principes de l’École française qui visent à obtenir l’équilibre du cheval monté, dans une légèreté qui en constitue l’idéal et l’aboutissement. Ces principes équestres sont issus du tronc commun de l’équitation de tradition française aujourd’hui inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO.
Le confinement nous a d’une certaine manière rapproché des chevaux, auprès de qui nous avons pu être plus présents au quotidien. Nous avons multiplié dans le même temps – en l’absence de missions protocolaires – les missions de sécurité publique à cheval visant à faire respecter les directives sanitaires, aussi bien à Paris qu’en province. En ce qui concerne mon cheval de tête, Umour du Faubour (sic), j’ai l’impression qu’il a très bien supporté cette période de confinement, car n’oublions pas que le cheval aime l’homme et que plus le cavalier peut être présent et au contact de son cheval, plus ce dernier est satisfait.
N’oublions pas que le cheval aime l’homme et que plus le cavalier peut être présent et au contact de son cheval, plus ce dernier est satisfait.
Etes-vous heureux à la perspective du défilé du 14 juillet prochain, et que peut-on souhaiter à la Garde pour 2021 ? Si je suis heureux à cette perspective ? Bien sûr que oui. Le défilé du 14 juillet constitue, du point de vue des missions d’honneur, le rendez-vous annuel le plus important, le plus visible, le plus risqué aussi parce que le plus médiatisé. Nous escortons d’abord le président de la République passant les troupes en revue sur l’avenue des Champs – Elysées, puis nous défilons à notre tour, offrant alors au public un « spectacle » hors du commun. Je dois avouer que nous rencontrons toujours un immense succès.
Il faut dire que le régiment de cavalerie de la Garde républicaine n’est semblable à aucun autre régiment en France. Il est le dernier régiment monté des Forces Armées. Il est aussi une unité de la Gendarmerie nationale à part entière. Une unité où le cheval est au cœur du système. Aussi faut-il souhaiter de nombreuses missions d’honneur et de sécurité publique à cheval pour lui permettre de donner toute sa mesure.
Biographie
Le colonel Gabriel Cortès commande le régiment de cavalerie de la Garde républicaine depuis le 1er août 2020. Officier de Gendarmerie, il est aussi l’auteur de nombreux articles portant sur la culture équestre au sens large et de deux ouvrages, Equitation en tandem (éditions SPE Barthélémy 2009, coécrit avec Frédéric Bregetzer) et James Fillis, l’écuyer de l’Europe (Belin, 2016), prix Cadre noir 2017, traduit en russe et publié en Russie en 2018. Le colonel Cortès est membre de l’Académie littéraire Pégase.
Pour aller plus loin : Le Régiment de Cavalerie de la Garde Républicaine, par Patrick Boissier et Pascal Baril, éditions Glénat, 2020.
Crédit photos : Géraldine Dunbar