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Elle a fait de sa vie une œuvre d’art, en sublimant la nature dans des empreintes éternelles. L’artiste peintre Isabelle Mazzucchelli revient sur sa passion pour les plantes, symboles de beauté fragile, sources de joie et d’inspiration, dans des créations éclatantes de couleurs et d’espoir. Rencontre avec une artiste lumineuse.

Vous réalisez des empreintes végétales depuis plus de 20 ans. Quel regard portez-vous sur ce parcours et comment s’est passé le déclic ?
Mon parcours est celui d’une artiste qui s’est trouvée tardivement – vers la quarantaine – mais aussi celui d’une femme, jardinière et pédagogue : toutes mes expériences vécues dans la nature, dans les jardins et dans les musées d’Alsace et de Bâle m’ont construite. Je suis devenue peintre & auteure de livres d’artiste, une artiste qui, comme le suggérait déjà Voltaire au XVIIIème siècle, cultive jour après jour son jardin.

Oui, effectivement il y a eu un déclic : c’était en 1992, des rencontres fortuites, simultanées et notoires, avec des œuvres et des personnes qui m’ont beaucoup appris. Il y a eu la découverte des cartes pédagogiques imprimées au noir de suie de Jean Frédéric Oberlin*, les frottages de Giuseppe Penone Il Verde del Bosco, alors exposé au Musée d’art moderne de Strasbourg, la confection de ma première planche d’herbier avec Chloé Hunzinger à la Maison de la Nature du Ried et la visite de plusieurs jardins biologiques et remarquables.

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Empreintes végétales d’Isabelle Mazzucchelli


Pouvez-vous nous décrire le processus de création d’une empreinte végétale ? Est-ce que cela prend beaucoup de temps ?

Il y a plusieurs façons de fabriquer une empreinte végétale : je les détaille toutes dans mon prochain livre L’EMPREINTE DES PLANTES, un livre abécédaire qui mêle mes thèmes de prédilection – la promenade, les jardins, l’histoire de l’art – à des notions de botanique et d’écologie, à la permaculture et à la connaissance des plantes. J’espère publier cet ouvrage à la fin de l’année 2023.

Pour revenir aux empreintes naturelles, une technique actuellement très à la mode est celle du cyanotype – étymologiquement en grec, une « empreinte de bleu ». A l’origine, c’est un procédé photographique monochrome mis au point par le chimiste et astronome anglais John Herschel (1792-1871) en 1842.

Il consiste à appliquer un mélange photosensible sur du papier ou du tissu pour obtenir, après exposition au soleil, des empreintes en négatif sur fond bleu. Il fut utilisé par la botaniste anglaise Anna Atkins (1799-1871) pour créer ses images d’algues bleues* – un bleu de Prusse, bleu cyan – pour son premier livre illustré British Algae : Cyanotype Impressions, publié en 1853.
Pour en savoir plus : http://expositions.bnf.fr/portraits/reperes/index3.htm

Mais il y a aussi celles de l’écoprint (procédé basé sur l’extraction du tanin contenu naturellement dans de nombreuses plantes), du frottage de végétaux placés sous un tissu ou un papier fin, de la phytotypie – ou dit plus simplement, de la création d’empreintes végétales de façon directe (par enduction directe d’une plante de peinture et qui sert alors de matrice) ou indirecte (les végétaux sont moulés pour réaliser des matrices d’une grande finesse) permettant alors d’obtenir un plus grand nombre d’exemplaires. On parle aussi « d’impression d’après nature » ou en anglais de « Nature Prints ».

Isabelle Mazzucchelli

Pour ce qui me concerne, je fais de la peinture… à l’huile ! Pour faire court, j’enduis de peinture la plante et je l’utilise comme un tampon, une matrice que je presse sur un papier. La trace laissée est ensuite retravaillée, puis souvent, elle est associée à d’autres, voire parfois à des lettres, dans des compositions et des installations murales que je crée.

Le procédé que j’ai mis au point est très délicat. Sa mise en œuvre se développe dans un temps long qui va de la promenade, du repérage et de la collecte dans un milieu naturel, au travail d’impression et de peinture dans l’atelier. Vient après le séchage, le marouflage de mon œuvre sur un châssis toilé, et la numérisation finale. Mes œuvres, enracinées dans l’expérience vécue, reflètent alors mes promenades et herborisations, ainsi que ma façon de voir, d’habiter et de penser le monde.

Tout ce que nous faisons laisse une trace : tout est empreinte !

Isabelle Mazzucchelli

Mais au delà du procédé de création, mes empreintes végétales me servent à montrer, à raconter : un jardin, mes promenades, mes espoirs et mes rêves. Elles me servent aussi à alerter, à questionner : sur l’usage des pesticides, sur la façon dont on s’empoisonne, et sur l’idée même de l’empreinte que nous laissons – notre empreinte écologique. Enfin, les empreintes me servent à commémorer, à rendre hommage à d’autres œuvres importantes pour mon art, mon éthique ou mes convictions.

Vos créations rendent hommage à la nature, mais aussi au monde des lettres et de la musique, par leurs titres – Suite bleue, Suite verte, Suite botanique… Pouvez-vous nous décrire votre passion ?
C’est à la fois une passion pour l’art, pour les plantes, pour la vie dans la nature ou du moins, pour une vie proche d’elle. Dans les arts plastiques, le mot Suite signifie aussi Série : souvent, je crée des séries de couleurs, en lien avec un jardin, une promenade et un temps déterminé. Mes œuvres sont toujours datées, devant au tampon, ou parfois au dos.

L’art, c’est une façon de vivre, de ressentir, de penser et de faire : l’artiste que je suis s’imprègne pour créer une œuvre en solitaire. Ma démarche est celle d’une naturaliste qui observe la nature et ses fonctionnements, qui écoute et qui contemple les cycles saisonniers ; celle aussi d’une curieuse qui recherche les informations pour mieux comprendre notre monde complexe et toutes les atteintes portées au monde naturel.

Quant aux plantes, elles sont belles et utiles. Depuis l’enfance, elles me nourrissent, me soignent et me rendent la vie plus agréable ; je les cultive, je les composte, je les imprime et les peins sur fond blanc depuis plus de vingt ans ; elles délivrent mes messages et rendent parfois hommage à ceux qui m’ont inspirée ; et ce sont bien toujours les plantes qui m’ont menée à la couleur comme à la peinture.

Depuis l’enfance, elles me nourrissent, me soignent et me rendent la vie plus agréable ; je les cultive, je les composte, je les imprime et les peins sur fond blanc depuis plus de vingt ans ; elles délivrent mes messages et rendent parfois hommage à ceux qui m’ont inspirée.

Isabelle Mazzucchelli

La poésie des outils de l’artiste

Jean Hans Arp a exercé une influence particulière sur votre œuvre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai vécu et travaillé quarante ans à Strasbourg. Jean Hans Arp y est né en 1886. Poète, sculpteur, peintre, il y a créé en 1926, en plein cœur de la ville, l’aménagement intérieur de l’Aubette – une halle de danse, avec sa femme Sophie Taeuber et l’artiste hollandais Théo van Doesbourg. Ce lieu emblématique s’appellera « Le Ciné-dancing ». Sa Trousse du Naufragé, ses formes nuages, sa poésie et ses nombreux reliefs ont été les premières œuvres d’art qui m’ont étonnée, questionnée.

Ses créations m’ont « poussée » à faire les miennes, mais avec d’autres matériaux, d’autres formes, d’autres couleurs. Lui et Sophie étaient proches de la nature ; ils voulaient « produire comme une plante produit un fruit, et non pas, reproduire ».

Jean Hans Arp (1882-1966), peintre, sculpteur et poète allemand naturalisé français.
Cofondateur du mouvement dada à Zurich en 1916, il prit part aussi au mouvement surréaliste.
Paul Eluard lui a dédié un poème, Capitale de la douleur


Dans son Manifeste millimètre infini, Arp écrit en 1938 : « Il faut d’abord laisser pousser les formes, les couleurs, les mots, les tons et ensuite les expliquer (…). L’art des étoiles, des fleurs, des formes, des couleurs appartient à l’infini. »

J’aime beaucoup cette dernière phrase : je l’ai reprise pour la peindre au pochoir et finalement, elle accompagne l’un de mes premiers livres, le livre du A, ainsi que l’une de mes dernières séries datée au tampon que j’ai nommée : EN ATTENDANT LE PRINTEMPS, Vingt Jours Effeuillés, Mars 2023.

L’art des étoiles, par Isabelle Mazzucchelli.
Jours-effeuilles_Arp
Jean Arp, Jours effeuillés,
Poèmes, essais, souvenirs, 1920-1965

Jean Arp a été un initiateur, un père artistique : il a été le premier à me montrer la voie d’une création proche de la nature, d’une disponibilité spirituelle et sensorielle, la voie de la poésie, et d’un jeu avec le hasard et avec les mots. « L’art doit se perdre dans la nature, il faut même qu’on le confonde avec elle »

Isabelle Mazzucchelli

Quels autres penseurs ou artistes nourrissent votre œuvre ?
En 2004, lors de ma dernière année d’enseignement devant de jeunes élèves, j’ai vraiment découvert l’œuvre de Paul KLEE : il était à la fois peintre, théoricien, violoniste, poète et pédagogue. Les Musées de Strasbourg* avaient monté une merveilleuse exposition intitulée : « Paul KLEE et la Nature de l’Art ».

Ce grand artiste du XX° siècle, très prolifique, mêle intimement l’art et la nature comme étant les manifestations des mêmes lois. Le catalogue de cette exposition est construit autour de notions clés inhérentes à la nature – le mouvement, la croissance, la métamorphose, le rythme, les énergies structurantes, la graine, l’intuition, le dialogue ; l’œuvre de Klee reste pour moi, aujourd’hui encore, une véritable bible d’inspiration et de création.

Paul Klee, « Le dialogue avec la nature reste pour l’artiste condition sine qua non »

A cette même époque, j’ai découvert aussi que, sans le savoir, je mettais largement en pratique dans ma pédagogie, celle que KLEE préconisait déjà dans ses cours du Bauhaus ; mon crédo, c’était alors d’emmener mes élèves en sortie : faire une expérience heureuse et positive de la nature, susciter des émotions fortes, s’émerveiller de ce que l’on peut y voir de curieux, de vivant, de coloré, de mystérieux et de poétique, s’exprimer, désigner et nommer les choses !

« […] Menez vos élèves vers la nature, laissez-les voir comment un bourgeon se forme, comment un arbre grandit […] La contemplation est une révélation, un aperçu de l’atelier de Dieu. Là-bas, dans la nature, repose le mystère de la création ». Paul KLEE

Et puis il y a eu aussi la lecture de MATISSE, le peintre de la couleur et de la simplicité : ses Ecrits & propos sur l’art ont été suivis d’une étude approfondie de ses papiers découpés. Quant aux « Nymphéas » de Monet, la vision de ses grandes toiles presque abstraites à la Fondation Beyeler à Riehen fut une véritable plongée dans la peinture.

Henri Matisse, dans son atelier à Saint Paul de Vence,1948
Polynésie, Henri Matisse

Votre atelier se trouve à La Capelle & Masmolène dans le Gard. Pouvez-vous nous le décrire ? Travaillez-vous en musique ? De jour ou de nuit ?
C’est mon second atelier : il occupe une pièce de ma maison située au Nord/Est, à l’ombre des chênes verts. Autrefois, mon premier atelier était à l’étage, une vaste pièce sous les toits de ma maison alsacienne, avec vue sur le verger.

Dans l’atelier, je crée souvent en écoutant des musiques instrumentales ; mes préférées sont :

  • PIANO Works, de Philip GLASS
  • ACT / 10 Magic years, The best of Word Jazz 1992 / 2002
  • Mais aussi, tous les PINK FLOYD, tous les BEATLES et les STONES, la musique de Nougaro,
    de Mozart et de Vivaldi.

Je ne fais jamais d’œuvre la nuit : j’ai besoin du jour et de la lumière naturelle, j’ai besoin aussi de toute mon énergie. Le soir, je suis en mode tranquille, comme une fleur qui referme doucement ses corolles : je lis, je discute, je me documente sur l’art et les plantes, parfois aussi je regarde un film car j’aime le cinéma. Je sors rarement.

Vous éditez également des livres d’artistes. L’un d’eux, le premier que vous avez réalisé, porte un titre empli d’espérance, “A HOPE for a Green Future”. Pouvez-vous nous raconter cette initiative?
En décembre 2015, alors que commençait tout juste la COP 21 de Paris, je décidais de réaliser une empreinte VERTE chaque jour, avec une plante de mon jardin. Une série de 31 empreintes datées en a découlé, ainsi qu’un livre vert ; mes œuvres, toujours datées, sont comme des témoins fragiles du temps qui passe. Cette expérience est aussi décrite dans le colophon du livre, imprimé en seulement 10 exemplaires.

Mes œuvres, toujours datées, sont comme des témoins fragiles du temps qui passe.

Isabelle Mazzucchelli


Vous avez aussi travaillé sur un beau projet dans le passé lié aux Chênes. Comment est née cette aventure ?
J’ai raconté en 12 chapitres, qui correspondent aux douze mois de l’année, l’évolution d’un projet qui mêla l’horticulture (la culture de glands), la réalisation d’empreintes de chênes aux formats divers, et le don de petits arbres obtenus auprès d’amis durant l’année 2012, dans un livre illustré par douze photos, des peintures et des herbiers : je ne l’ai jamais édité, faute d’argent. 

PLANTONS DES ARBRES (LES CHÊNES, THE OAKS, DIE EICHEN) est un livre qui commémore le geste de l’artiste allemand Joseph Beuys, qui en 1982, débuta la plantation de 7000 chênes à Kassel.

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Isabelle Mazzucchelli

Avez-vous des expositions prévues en 2023 ? Où peut-on trouver vos livres, huiles sur toiles, et estampes ?
J’espère exposer au Jardin du Rayol, dans le Var cet été, ma série « Promenades dans les jardins méditerranéens » et celle que je termine « CULTIVONS NOTRE JARDIN ». A l’automne, je serai au Château de Pupetières en Dauphiné pour deux jours d’exposition et pour ma conférence en images L’EMPREINTE DES PLANTES. Mes livres sont visibles dans les Fonds précieux des bibliothèques patrimoniales* ; mes originaux et mes estampes disponibles dans mon atelier sur rendez-vous.


Un souhait particulier, ou un rêve à réaliser dans les prochaines années ?
Je voudrais davantage d’amour dans le monde, moins de conflits et de misère ! Notre monde est trop basé sur la consommation, il est terriblement mercantile : on tue, on empoisonne pour l’argent. Il faut éduquer, développer notre capacité à voir, à ressentir, à imaginer et à trouver des solutions, faire circuler les informations sur la qualité de l’eau, de l’air, de la terre, les forêts et les biens communs à tous. Je voudrais qu’il y ait bien davantage de respect pour la nature et pour la vie des hommes et de tous les êtres vivants.

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Isabelle Mazzucchelli

Je voudrais davantage d’amour dans le monde

Un rêve d’artiste ?
Que mes œuvres fassent du bien, qu’elles apportent de la poésie, qu’elles aient un fort impact et aident à des prises de conscience, à modifier des comportements contraires à la vie. Je voudrais aussi exposer mes œuvres auprès de jardins remarquables, dans de belles galeries, et dans de grands musées.

Expositions

A la Médiathèque Chalucet, dans le cadre de l’inauguration du jardin Remarquable « Alexandre 1er », exposition d’été, du 1er juin au 2 Juillet 2023, avec présentation des livres d’artiste d’ Isabelle Mazzucchelli.

Exposition et conférence « L’EMPREINTE DES PLANTES » au Château de Pupetières, dans le Dauphiné, le dernier week-end de septembre 2023 .

Exposition « SUITE GOURMANDE  » à la médiathèque de Périgueux, du 3 au 6 septembre 2023, une série potagère en cours.

Biographie

Isabelle MAZZUCCHELLI est une artiste française née à Metz, qui vit à La Capelle & Masmolène, dans le Gard.

Site : isabelle-mazzucchelli.com
Mél : isabelle.mazzucchelli@gmail.com
Instagram : isabellemazzucchelli

L’art, c’est une façon de vivre, de ressentir, de penser et de faire : l’artiste que je suis s’imprègne pour créer une œuvre en solitaire. Ma démarche est celle d’une naturaliste qui observe la nature et ses fonctionnements, qui écoute et qui contemple les cycles saisonniers ; celle aussi d’une curieuse qui recherche les informations pour mieux comprendre notre monde complexe et toutes les atteintes portées au monde naturel.

Isabelle Mazzucchelli

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