« N’oublie pas de voir, m’avait dit la Bretagne.

N’oublie pas de vivre, m’avait dit le Pays de Galles.

N’oublie pas d’aimer, m’avait dit la mer »

Extrait du livre « Avec les fées », publié aux Equateurs, où il est question de partir à la rencontre du merveilleux. Y a-t-il entreprise plus noble, plus poétique, que celle de se lancer à la quête de beauté, pour réenchanter le monde et inspirer la jeunesse ?

Avec joie nous prenons le large aux côtés de Tesson, de la Galice espagnole jusqu’aux îles Shetland en Ecosse, en passant par la Bretagne, Cornouailles, le pays de Galles, l’Ile de Man et l’Irlande… Une odyssée magique en voilier, malgré tous les dangers (voir les cartes dessinées de sa propre main, il fallait oser y aller, là-haut, en bateau !)

De grands écrivains sont de la partie, des piliers du patrimoine mondial de littérature, tous amis et guides spirituels : Victor Hugo, Apollinaire, Aragon, Chateaubriand, Nietzsche, Goethe, Verlaine… Nous voguons aussi avec Keats, Shelley, Byron, Walter Scott, Wordsworth et Yeats, “I will arise and go now, and go to Innisfree…

Ode à la fièvre du départ,

Ode à la mer, à l’onde immaculée,

Ode aux îles, car « les îles sont des rêves »

Tesson offre au lecteur une vibrante déclaration d’amour au chant du monde, à la Liberté, aux valeurs d’autrefois – la bonté, la beauté, la force, et à la Poésie, qu’il déclame à haute voix, à bord de son voilier.

Sur le pont mouillé des bises de la mer, ce sont les vers de Louis Aragon qu’il récite :

« La vie est une avoine et le vent la traverse » bâbord.

« Et le monde est pareil à l’antique forêt », tribord.

« Mais le bel autrefois hante le présent », bâbord. (p.107)

Pouvait-on imaginer plus belle rencontre entre les lecteurs et la poésie ? Plus belle scène pour une jeunesse qui se cherche et qui le suit ?

Son dernier opus, « Avec les fées » tient déjà une place particulière dans mon cœur, en raison d’escales dans les paradis de mon enfance, à Tintagel en Cornouailles, berceau des légendes du roi Arthur, en Irlande et en Ecosse, dans les terres de mes ancêtres côté père.

*

J’aurais aimé dire plus sur ce bijou de lecture, mais une tribune contre son auteur est arrivée comme un pavé dans la mare et m’a perturbée, d’où mon texte un peu long, désolée ! Publiée dans un journal que je ne citerai pas, elle salit l’honneur d’un écrivain que j’aime et que j’admire.

Il y est question d’exclure Tesson comme parrain du Printemps des poètes, qui se déroule du 9 au 25 mars 2024. Depuis plusieurs jours les mauvaises langues se délient un peu partout, avec des propos fous sur le soleil de nos lettres qui serait « réactionnaire ». Une hérésie, digne de la mise à mort de Galilée. Voilà comment on remercie un homme qui inspire et qui nourrit des centaines de milliers de personnes en France.

Ceux qui ont signé un texte blessant à l’encontre de Sylvain Tesson n’ont pas lu son dernier livre, ni ses autres œuvres regorgeant de poésie et de réflexions profondes sur la condition humaine. Un oubli de taille : l’homme qu’ils cherchent à descendre pour des motivations politiques a traversé seul le désert de Gobi voilà plus de 20 ans pour rendre hommage à des prisonniers antifascistes évadés d’un goulag en Sibérie orientale.

Réactionnaire, Tesson ? Non, homme libre, lucide et courageux…

C’était en 2003 : un périple incroyable de huit mois à pied, à cheval et en vélo, des ruines du Camp 303 en Iakoutie jusqu’en Inde, à travers la taïga, le Baïkal, la steppe, le désert et les montagnes de l’Himalaya. Six mille kilomètres, soit 6 fois la France du nord au sud. Peut-on seulement imaginer ?

Un rêve empli de noblesse : célébrer l’évasion et la mémoire d’anciens déportés résistants qui avaient bravé tous les dangers lors de la dernière guerre. Dire non, plus jamais ça, plus jamais une idéologie qui piègerait les hommes ! Chanter la Liberté comme passion ultime :

« L’essentiel est de comprendre que l’évadé politique est nécessaire à l’Histoire. Il prouve qu’aucun barbelé n’est infranchissable, qu’il y a toujours une faille dans le rempart, qu’aucun bourreau n’est sûr de retrouver son prisonnier à l’aube, que le poteau d’exécution restera sur sa faim, qu’aucune idéologie ne réussira jamais à cadenasser quiconque et qu’aucun dogue affidé à une idéologie ne sera capable d’empêcher les hommes de regagner leur Liberté, ce pain de l’âme, aussi nécessaire à la vie que le pain du ventre. » (L’Axe du Loup p. 208, Robert Laffont, 2004)

Vingt ans plus tard, l’auteur fait l’objet d’une tribune digne de l’Inquisition. Faute lourde ! En homme libre, Tesson ne sert pas la politique, mais un Idéal… celui de voir l’homme affranchi de toutes les servitudes.

Cette épopée sur les traces de l’officier polonais Slavomir Rawicz et de ses camarades (The Long Walk, 1956), avec déjà, une anthologie de poésie française en poche pour se donner des forces, aurait mérité à elle seule une pleine reconnaissance et la Légion d’honneur à son auteur.

Quant à son amour des vers, qu’il partage depuis 30 ans avec générosité en France et nombre de pays traversés, comment oublier ces lignes qui frappent en plein cœur :

« Souvent, dans la solitude de la chevauchée ou de la marche, loin des villes, hors des routes, je me prends à rêver d’une bibliothèque… La solution (il m’a fallu dix ans pour parvenir à l’évidence) est dans la poésie. Dire les vers en marchant. Rythmer la récitation. Accorder la stance à la cadence normale : Péguy dans la steppe, Apollinaire en haute altitude, Shakespeare sous l’orage. Avoir sur soi une anthologie poétique, trois cents grammes de papier c’est idéal, inépuisable. En outre, le soir, seul au bivouac, dans la nuit, on peut arracher la page qui a nourri l’âme tout le jour durant, et construire avec elle un gentil petit feu auquel on récite le poème appris. » (L’Axe du Loup p. 94, Robert Laffont, 2004)

*

Pourquoi lire et soutenir Sylvain Tesson ? Qui suis-je pour le défendre ? Je ne suis personne, ni ministre, ni éditeur, ni même sa femme !

Mais en portant atteinte à lui, une part de moi-même est touchée. Des vies parallèles : le simple hasard m’a fait partir dans la même direction en Sibérie, à six mois d’écart en 2004. Je suis ses aventures depuis 21 ans. Ame sœur un peu lointaine, je fais partie d’une garde, une vieille garde bienveillante, qui défendra son honneur envers et contre tout.

Un écrivain a un pouvoir incroyable dans la vie de chacun : il apporte espoir quand il n’y a plus rien à espérer, il apporte réconfort quand il paraît impossible d’être consolé. Il apporte amour aussi. Rares sont ceux qui réussissent l’exploit de sauver une vie par leurs textes. Sylvain Tesson est de ceux-là.

Je pense pouvoir affirmer, sans craindre et sans rien attendre, que les livres de Sylvain Tesson m’ont sauvé la vie. Il y a eu aussi d’autres auteurs. Mais Tesson m’a sauvée à plusieurs reprises.

Je n’ai pas connu de chute grave, comme lui. Mais en 2011, sans entrer dans les détails, j’étais brisée intérieurement de toutes parts. Comme une pièce de cristal éclatée en mille morceaux. Ces blessures n’étaient pas visibles à l’œil nu. Le livre Dans les forêts de Sibérie est alors arrivé dans ma vie, comme par miracle.

Ses pages au bord du Baïkal m’ont prise par la main, quand j’étais à bout de forces.

« Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et, soudain, on ne sait plus qu’il est là. Je suis libre, parce que mes jours le sont. »

En 2015, ma vie vola en éclats : le divorce, un licenciement économique et la perte de mon logement. Trois déménagements en 4 ans avec mes enfants. Encore et toujours Tesson, pour tenir debout… Une vie à coucher dehors, et aussi Berezina, le titre tombait bien.

Je vous épargne 2020, et les deux années de pandémie !

Toutes ces années-là, Tesson m’a offert un horizon, une parole poétique, une consolation du monde.

Il a été mon oxygène.

Il m’a réparée pendant cinq années.

Les Chemins noirs ont été aussi un peu les miens.

Si je me suis relevée, c’est grâce à lui, à mes proches et à mes enfants. Je ne pense pas être la seule dans ce cas. D’autres vies que la mienne ont certainement été sauvées par les livres de Sylvain Tesson. C’est difficile d’en parler, mais ça existe.

Alors qu’importe les paroles cruelles, les critiques fausses et les tribunes de la honte à son encontre…

Il reste à mes yeux un soleil incandescent, poète salvateur et génie.

Et pour reprendre Kipling, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire sont tout à lui.