Il a consacré trente années au service de notre Patrimoine historique. Administrateur de l’un des plus beaux sites du pays, le Domaine de Chaalis, joyau millénaire fondé par Louis VI en 1136, Aymar de Virieu revient sur cette expérience, avec cœur et espérance. Entretien avec un homme voué aux merveilles de France.
Vous avez passé trente années au Domaine de Chaalis, honoré par les rois, célébré par les artistes de la Renaissance, ainsi que par les plus grands écrivains français. Pouvez-vous nous raconter cette expérience, et nous dire ce que vous ressentez aujourd’hui ? Ces trente années sont passées si vite. Travailler dans un site historique est une véritable joie. C’était un peu l’abbaye de la Belle au bois dormant. Nous n’avions aucun moyen financier, il a fallu trouver des idées pour rentabiliser et investir pour restaurer les bâtiments, les pavillons d’entrée que nous avons transformés en Accueil, boutique et cafétéria pour les visiteurs, transformer l’orangerie en salle de réceptions et événements, et nous avons ouvert Chaalis aux tournages de films et aux grandes manifestations.
Nous sommes passés d’un chiffre d’affaires de 150 000 euros à 2 millions d’euros environ par an. Ceci est le fruit d’un travail de toute une équipe et d’une institution à l’écoute des préoccupations du site. J’ai eu la chance de travailler avec des Présidents et des directeurs de services administratifs et financiers exceptionnels. Nous l’avons fait avec des moyens créés par un travail de terrain, auprès des agences, des entreprises, et des pouvoirs en place. Nous sommes dans une région dynamique, proche de Paris et de Roissy, un atout de taille pour ce site d’exception.
Le domaine comprend un ensemble historique de premier ordre, avec les ruines de l’Abbaye Royale fondée par Louis VI, la Chapelle, le Musée Jacquemart-André, le Parc à la française, et sa roseraie, classée “Jardin Remarquable”. Quel est l’endroit que vous aimez le plus, celui qui vous inspire ? Je suis très attaché au lieu dans son ensemble, à cette femme, Nélie Jacquemart-André, qui a légué son bien à l’Institut de France en spécifiant que ce domaine doit être inaliénable. Je me suis senti comme investi d’une mission pour respecter son testament et donner à ce lieu une renommée.
A l’Institut de France, je n’avais pas la fonction de conservateur, je n’avais donc pas la charge des collections, j’ai toujours essayé de répondre aux différentes demandes de restauration des œuvres d’Art avec des moyens plus que limités.
Nous avons eu la chance d’avoir des mécènes privés comme la Générali, très proche de la Fondation Jacquemart-André, des Fondations de l’Institut, et le département de l’Oise et le DRAC qui nous ont soutenus pendant toutes ces années. J’aime son environnement avec les étangs, les forêts magnifiques, la Chapelle avec ses fresques du Primatice, où Nélie Jacquemart est inhumée. Les jardins, avec la roseraie, plaisir des yeux et du nez… Le Château, qui renferme ses collections, une vraie caverne d’œuvres artistiques, je connais très peu de châteaux aussi bien meublés.
Peut-on parler d’esprit des lieux à Chaalis ? Qu’éprouvez-vous, lors de votre tour du site, le matin ? Tous les matins je passe devant cette magnifique Chapelle Sainte-Marie, avec ce faîtage aux fleurs de lys et cette croix ornée des aigles du Cardinal Hippolyte d’Este et les ruines romantiques de l’Abbaye. La lumière est magique.
A quoi reconnaît-on la splendeur d’un lieu, aux pierres et à l’art ? Qu’est-ce qui rend Chaalis unique à vos yeux ? L’ensemble du site, qui est un témoignage de l’histoire du Moyen-Age jusqu’à nos jours, en sachant que ce site a toujours été respecté. Lorsque l’on travaille pour un lieu historique, on a presque l’impression d’y être né depuis son origine, on en connaît son histoire, donc l’évolution à travers les siècles.
Pendant de nombreuses années, vous avez orchestré la Journée de la Rose sur le site de Chaalis, un événement rassemblant des milliers de producteurs et de personnes passionnées par les fleurs. Pouvez-vous nous raconter cette expérience, nous faire part d’un ou deux très beaux souvenirs ? L’idée vient de Jean-Pierre Babelon qui avait quelques années auparavant dirigé le Château de Versailles; il souhaitait faire connaitre cette roseraie que nous venions de refaire dans son intégralité avec André Gamard, un homme passionné de roses et de jardins qui est pharmacien botaniste et qui est devenu, par cette passion, concepteur de cette roseraie. Nous avons voulu récréer une roseraie, comme celle de Madame Jacquemart-André, au début du XXème siècle.
Au commencement, j’étais un peu inquiet, je connaissais bien André dans la vie de tous les jours, mais je n’avais aucune idée de la passion qui le tenait à cœur. Nous n’avions aucun budget, le deal était de créer cette roseraie et de faire ensuite un événement pour le faire connaître. Cet événement nous permettait de le rémunérer chaque année, pour le travail qu’il nous apportait. Nous avons fait cela avec notre équipe de jardiniers, les allées, les arceaux et les parterres entourés de buis. Monsieur Jacques Segers, qui était certainement le plus grand spécialiste, nous a fait toutes les bordures de buis généreusement.
Le domaine de Chaalis reste aussi un lieu privilégié pour les fêtes de mariage et autres événements. Les reportages se multiplient sur les joyaux de notre patrimoine, dont Chaalis. Est-ce que cela a été bénéfique, pour faire connaître le site ? Les mariages, beaucoup de sites historiques en font. En revanche les Journées de la Rose, Les Journées des collections, les événements privés, les nouveautés nous font connaître. Mon dernier projet est celui d’un Verger éducatif et pédagogique que nous concevons avec le Parc Naturel Régional.
Ce projet est en gestation depuis 2016, les premiers travaux ont débuté en 2019, ce verger sera inauguré en 2024. L’Institut de France souhaite investir plus de 15 millions d’euros à Chaalis pour redonner toute sa splendeur à ce site qui mérite d’être connu. Un nouvel administrateur général vient d’être nommé et je suis persuadé qu’il mènera à bien cette tâche qui lui a été confiée.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Nélie Jacquemart-André, qui a légué le domaine de Chaalis à l’Institut de France en 1912 ? Nélie Jacquemart et Edouard André ont été de véritables mécènes. Ils ont souhaité, comme le Duc d’Aumale pour le domaine de Chantilly, donner l’hôtel particulier du Boulevard Haussmann et le Domaine de Chaalis, en demandant à l’Institut de France de préserver ses biens et que rien ne soit vendu.
L’Institut de France a respecté le testament de Nélie Jacquemart-André depuis 1912. Nous avons même acheté des terrains boisés pour agrandir ce magnifique domaine. Nous avons une grande admiration et reconnaissance de cette confiance pour cette grande famille, qui a généreusement légué l’ensemble de son patrimoine à notre belle institution.
L’Institut de France a respecté le testament de Nélie Jacquemart-André depuis 1912. Nous avons même acheté des terrains boisés pour agrandir ce magnifique domaine. Nous avons une grande admiration et reconnaissance de cette confiance pour cette grande famille, qui a généreusement légué l’ensemble de son patrimoine à notre belle institution.
Aymar de Virieu
Tous les jours, les ruines majestueuses de l’Abbaye Royale attirent le regard. A quoi pensez-vous lorsque vous les regardez ? Je pense bien sûr à son histoire, mais aussi à cette communauté qui a vécu et prié en ce lieu pendant sept siècles. Ce sont plus que des ruines romantiques. Que d’émotions fortes se dégagent de ces pierres, ces colonnes… Ce transept nord est splendide, il capte la lumière. On comprend pour quoi Saint Louis aimait venir y partager du temps avec les moines de Chaalis.
Si vous pouviez remonter dans le temps sur le site, ce serait à l’époque médiévale en 1137, à la Renaissance en 1540, lors des décorations de la Chapelle par le Primatice, au XVIIIème siècle, ou encore au XIXème, lorsque Nélie recevait le tout Paris artistique ? Toutes les périodes sont intéressantes, la question est excellente, je ne me la suis jamais posé. J’ai ressenti une mission de sauvegarde de cette belle abbaye, nous avons fait notre possible pour lui donner le meilleur de nos possibilités avec des moyens limités.
Qu’est-ce qui va vous manquer le plus, Aymar de Virieu ? Les moyens financiers, mais aujourd’hui l’Institut de France a pris conscience de l’intérêt du site, et nous sommes fiers du travail réalisé pendant ces trente dernières années.
Je pense bien sûr à son histoire, mais aussi à cette communauté qui a vécu et prié en ce lieu pendant sept siècles. Ce sont plus que des ruines romantiques.
Quel est le meilleur conseil à donner pour les jeunes qui souhaitent participer à la sauvegarde du patrimoine français ? La première est la passion, c’est le moteur principal qui guide nos projets, nos actions, notre travail. Quand on a une idée et que l’on y croit, il faut le faire quoi qu’il arrive. Un souvenir me revient pour les Journées de la Rose. Quand nous avons lancé l’idée, personne n’y croyait, on nous disait “Mais on ne vend pas des rosiers en juin, c’est n’importe quoi, les rosiers ne se vendent pas à cette période.” Les mentalités changent, nous vivons dans un monde qui tourne de plus en plus vite et le public veut son rosier en fleurs dès le mois de juin, le choisir en fleurs.
Le rosier est en pot, la racine nue est vendue à des spécialistes, mais pas au grand public. Il faut savoir aussi que ce n’est jamais terminé, il y a toujours des travaux, des améliorations des changements, des normes nouvelles, mais cela est passionnant. On se retrouve au bout de 30 ans, en ayant l’impression que beaucoup reste encore à faire…!
Le Domaine de Chaalis : www.domainedechaalis.fr