Il est passionné de Jazz depuis 40 ans et a rencontré les plus grands ! De Miles Davis à Marcus Miller, en passant par le légendaire Michel Legrand… L’écrivain et photographe Pascal Kober signe un ouvrage incontournable, l’Abécédaire amoureux du Jazz, avec plus de 200 portraits d’exception. A l’occasion d’une exposition historique de son œuvre à la Médiathèque de La Rochelle, il revient pour nous sur ce grand amour qui le lie depuis sa tendre enfance…
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ? J’aime emprunter les sentiers de traverse plutôt que les autoroutes de l’information. Je suis donc toujours curieux de tout. Un ami proche avait inventé cette belle formule : « La curiosité est la forme brute de la créativité ». Surtout, je suis spécialiste de rien ! Chemin un tantinet sinueux donc, entre une enfance très heureuse, dans une modeste famille ouvrière des vallées industrielles lorraines, et la création d’une revue culturelle européenne consacrée aux Alpes, dont j’ai été le rédacteur en chef pendant plus de vingt ans.
Vous êtes un homme aux talents multiples – écrivain, photographe et musicien. Quelle est l’activité qui vous procure le plus de plaisir ? C’est impossible de répondre à une telle question ! Ces plaisirs sont si différents… Jamais le photographe, fut-il extrêmement renommé, ne connaîtra, avec un livre ou une exposition, le formidable bonheur du retour en direct de plusieurs milliers de personnes qui se lèvent pour applaudir à la fin d’un thème de musique. À l’inverse, le photographe ou le journaliste est seul capable de croquer ces instants privilégiés !
Comme le rappelle d’ailleurs Marcus Miller dans la préface de mon Abécédaire amoureux du jazz : « En tant que musicien, l’expérience vécue lors d’un concert est extrêmement éphémère car l’accord, toujours un peu magique, entre musique, ambiance, public et énergie ne dure que quelques petites heures. Pascal Kober réussit à saisir, dans ses images et pour l’éternité, un peu de cette magie du direct. »
La marque d’un grand photographe de jazz, c’est lorsque vous pouvez entendre la musique en regardant ses images. Comme si les notes bondissaient hors des pages pour venir se draper autour de vous. Après avoir vu tous ces portraits, j’ai refermé le livre et littéralement, j’ai entendu la musique s’arrêter…
Marcus Miller, ancien bassiste de Miles Davis, sur le livre de Pascal Kober.
Une exposition est en cours à La Rochelle, consacrée à votre Abécédaire amoureux du Jazz qui comprend 200 portraits de musiciens talentueux. Cette exposition est comme l’aboutissement de vos passions. Qu’avez-vous ressenti, en découvrant votre travail accroché aux murs ? Tout d’abord, une sacrée belle fierté de voir ce travail – quarante années de photojournalisme dans l’univers du jazz, légitimé sur le plan institutionnel, après qu’il l’ait été via la revue Jazz Hot dans le paysage de la presse. Nous sommes en effet très peu nombreux dans le monde à avoir pu bénéficier de tels moyens et d’une telle reconnaissance. J’éprouve donc une profonde gratitude envers celles et ceux qui ont permis cette réalisation.
Toute l’équipe de la Médiathèque Michel-Crépeau de La Rochelle bien sûr, mais aussi l’ethnologue Isabelle Lazier, conservatrice en chef du patrimoine qui dirigeait le musée de l’Ancien Évêché à Grenoble. Isabelle a eu l’idée et l’envie de monter ce projet, dont elle écrivait elle-même qu’il s’agissait de la seconde exposition jamais présentée dans un musée français depuis Le Siècle du jazz, en 2009 au musée du Quai-Branly à Paris.
Enfin, parce que chaque photographe devrait prendre conscience du fait qu’un tel projet culturel est d’abord un travail d’équipe, qui ne tient que par la force du regard des autres sur son propre travail. Je veux ainsi saluer notamment Philip Van Bost, mon éditeur en Belgique, qui a tout de suite cru à ce beau livre accompagnant l’exposition et qui l’a même proposé en deux versions, française et anglaise (An ABC for Jazz Lovers).
Pensée aussi à ma graphiste et scénographe Corinne Tourrasse qui a organisé la mise en murs et la mise en pages. Corinne est une reine des vis-à-vis qui, comme elle le rappelle elle-même « aime que les images soient copines entre elles ».
Pouvez-vous nous présenter 5 artistes qui vous ont inspiré ? Une anecdote ou un beau moment lié à une prise de vue ? Terri Lyne Carrington accompagnait Stan Getz à la batterie en 1990. De mon portrait d’elle, Robert Latxague, un ami journaliste a écrit : « Dans le viseur, Pascal a composé une perspective de visages d’anges noires comme superposées en mode de ligne de vie » ; un an après, le pianiste Joe Zawinul assis sur les vieilles pierres du théâtre antique de Vienne ; et le contrebassiste Viktor Dvoskin qui m’avait accueilli chez lui à Moscou autour d’une table recouverte de zakouskis alors qu’il devait faire – 40°C sur la place Rouge et que nous préparions, à l’Ouest, la parution de son premier CD avec une magnifique version jazz de Polushko, un thème traditionnel russe.
Plus récemment, en 2013, une autre contrebassiste, Esperanza Spalding, qui a joué pour Barack Obama à la Maison-Blanche et qui, sans le savoir, a été à l’origine de mon Abécédaire amoureux du jazz… Et enfin, la jeune violoniste et vocaliste cubaine Yilian Cañizares qui, en 2019, a littéralement enchanté l’une de mes soirées par sa musique comme par sa belle personnalité.
Marcus Miller, grand jazzman, vous a rendu un bel hommage. Quelle a été votre réaction ? Marcus est un musicien très généreux qui a travaillé avec les plus grands comme Miles Davis. Ses mots sur mon travail de photojournaliste m’ont donc évidemment touché. En plein cœur !
Comment s’est passé votre toute première rencontre avec le jazz ? Ma grand-mère avait un disque de la Rhapsody in Blue de George Gershwin que lui avait offert l’un de mes oncles, pianiste de jazz à Paris et au Touquet. Je pense que ces notes bleues, délicatement glissées dans l’oreille d’un tout petit enfant qui n’avait pas de tourne-disque dans la maison de ses parents, ont fait germer une petite graine. Plus tard, au lycée, j’ai plutôt écouté David Bowie, Magma, Claude Nougaro ou Joni Mitchell. Mais le jazz n’était jamais très loin avec des musiciens que l’on qualifiait alors de jazz-rock comme John McLaughlin ou le groupe Weather Report.
Quelles sont les œuvres ou artistes qui ont été une révélation dans votre jeunesse ? Et lesquels conseillez-vous à ceux qui souhaitent découvrir le jazz ? Parmi les classiques, Louis Armstrong et Ella Fitzgerald furent parmi mes premières amours. Le jazz vocal est d’ailleurs le chemin le plus doux pour vous laisser séduire. Parmi les grandes voix d’aujourd’hui, je suggèrerais de tendre l’oreille vers Cyrille Aimée, Dee Dee Bridgewater, Mélanie de Biasio, Melody Gardot, Agathe Iracema, David Linx, Petra Magoni, Bobby McFerrin, Cécile McLorin, China Moses, Dianne Reeves, Youn Sun Nah, Lia Pale, Lisa Simone, Carmen Souza ou encore Lou Tavano. Tou(te)s sont dans mon Abécédaire amoureux du jazz. Et vous voyez, la liste est longue !
Ma grand-mère avait un disque de la Rhapsody in Blue de George Gershwin que lui avait offert l’un de mes oncles, pianiste de jazz à Paris et au Touquet. Je pense que ces notes bleues, délicatement glissées dans l’oreille d’un tout petit enfant qui n’avait pas de tourne-disque dans la maison de ses parents, ont fait germer une petite graine.
Pascal Kober
Un dîner entre amis, avec la possibilité de remonter dans le temps : quels artistes invitez-vous à votre table ? D’abord, pour le voyage des papilles, je leur mitonnerai mon fameux gratin mascareigne, car j’aime aussi cuisiner ! Autour de la table, il y aurait Michel Legrand qui a écrit tant de jolies mélodies aujourd’hui jouées dans le monde entier et que j’ai vu en concert en Suisse pour la dernière fois ; le violoniste classique Nigel Kennedy avec qui, à l’issue dudit concert de Michel, j’ai « succulé » plus que de raison quelques délicieux crus helvétiques dans un carnotzet des vignobles de Lavaux – le plus beau paysage du monde ! ; Gustavo Dudamel car ce fabuleux chef d’orchestre est fou ; Leonard Bernstein parce que j’aimerais jouer le Tony de sa Maria ; Audrey Hepburn dont je suis tout autant amoureux et avec qui je chanterais Moon River ; Toots Thielemans enfin, qui me raconterait tant d’histoires polissonnes sur sa belle vie d’artiste ; et Miles Davis, bien sûr ! Sacré septet, non ? On fait le bœuf ?
Vous jouez déjà dans un trio jazz. Si demain on vous offrait la possibilité d’accompagner une chanteuse, ce serait avec qui ? Mon Alzy Trio, une formation parfaitement amateur qui est un peu mon jardin (presque) secret et qui existe depuis près de vingt ans, s’est produit à plusieurs reprises avec des amis invités et notamment des amies chanteuses. J’ai toujours le cœur serré en pensant à Elsy Fleriag, avec qui nous avons enregistré quelques chansons pour notre French SongBook, et qui est aujourd’hui retournée dans son île natale, la Martinique.
Nous irions donc la rejoindre (en bateau !) et j’y inviterais aussi Gala, une chanteuse venue du Caucase qui vit aujourd’hui à Paris et que j’ai découverte il y a quelques mois, pour un duo que je pressens très goûtu ! Le mariage de l’âme russe et de la chaleur caribéenne, en somme.
Pouvez-vous nous citer trois chansons de jazz que vous adorez fredonner ou chanter ? Et à quel moment de la journée ? Chanson de Maxence, Les feuilles mortes et Que reste-t-il de nos amours ? Trois thèmes majeurs du répertoire français qui sont joués tous les jours dans des jam sessions tout autour de la planète. À quel moment de la journée ? Le matin sous la douche, évidemment !
Que représente votre instrument de musique pour vous ? Et que conseillez-vous aux jeunes qui hésitent à se lancer dans une carrière musicale ? Ne jamais hésiter. Jamais. Au grand jamais ! Croyez en vous. Toujours ! Quelle que soit votre passion… Mon fils est boulanger, il fait le meilleur pain du monde et il est le plus heureux des hommes ! Quant à ma basse acoustique fretless, il s’agit d’un instrument très peu joué. Elle n’est ni la Jazz Bass d’un Jaco Pastorius, ni la contrebasse de Charlie Haden. Plutôt une sorte d’objet musical non identifié, mais omniprésent, dont j’aime à dire que le son que j’en tire tient à deux choses essentielles : du bois et des doigts.
Est-ce plus difficile de poursuivre la passion du jazz à notre époque qu’au siècle dernier ? Oui, sûrement, car aujourd’hui on qualifie de jazz un peu tout et n’importe quoi. En oubliant que cette musique est d’abord le fruit d’une culture de lutte, celle des Afro-Américains qui ont eu à subir l’esclavage et qui, aujourd’hui encore, combattent la ségrégation. Alors, plus difficile, bien entendu… Mais la passion ne doit rien à la raison. Sinon, elle ne serait plus passionnelle !
Vous contribuez à la revue historique Jazz Hot depuis bientôt 40 ans ! Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette revue ? Je suis très heureux de travailler depuis 1987 pour la doyenne mondiale des revues spécialisées sur le jazz. Jazz Hot a été créée en 1935 par Charles Delaunay et Hugues Panassié et elle a vu passer de prestigieuses signatures comme celles de Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo, du grand photographe Jean-Pierre Leloir ou encore de l’écrivain (lui aussi musicien) Boris Vian.
Si le musicien Louis Armstrong figurait parmi nous, et qu’il découvrait votre exposition, qu’aimeriez-vous qu’il dise ?
I see trees of green
Red roses too,
I see them bloom
For me and you
And I think to myself
What a wonderful world!
Biographie
Pascal Kober travaille depuis les années 1980 dans le monde du journalisme, de l’image et de l’édition. Après un Master en communication à l’Ecole supérieure d’art de Metz, il collabore dans les magazines spécialisés sur la photographie. Il poursuit ensuite comme journaliste et photographe indépendant avec de nombreux titres de presse, depuis Le Monde jusqu’à Vogue, en passant par Grands Reportages, L’Expansion, L’Équipe Magazine, Géo, Science et Vie et, à l’étranger, des magazines comme Adventure (Pays-Bas), Atlante et Avventura (Italie), DownBeat (USA) ou encore le Basler Zeitung (Suisse).
Photographe et journaliste pour la revue Jazz Hot depuis 1987, il a également dirigé jusqu’en mars 2020 la revue culturelle européenne L’Alpe. Outre son Abécédaire amoureux du jazz (éditions Snoeck), il est notamment l’auteur de Objectif voyage (guide de la photo en voyage et beau livre illustré, préface de Jean-Loup Sieff, Glénat, 1990), Citadelles d’altitude (Didier Richard, 1995) et Les Alpes de Doisneau (éditions Glénat, 2012). Site internet : www.pascalkober.com
Ne jamais hésiter. Jamais. Au grand jamais ! Croyez en vous. Toujours !
Quelle que soit votre passion…
Pascal Kober