Elle bouleverse les foules par sa grâce, son énergie et son talent fulgurants. Elle défie aussi la crise, avec une idée de génie, la création d’un groupe de jazz, le “Trio Résilience”. Nominée Artiste de l’année par les Songlines Music Awards, la chanteuse et violoniste Yilian Cañizares vient par ailleurs d’être nommée Ambassadrice des Nations-Unis pour les Océans. Portrait d’une déesse, au sommet de son art !
Vous êtes partie très jeune du Cuba, à 14 ans, pour réaliser votre rêve et devenir une grande artiste. Le chemin a été long, une enfance peu aisée dans les années 90, mais vous vous êtes accrochée, et vous êtes aujourd’hui reconnue comme l’un des meilleurs talents du Jazz – une voix fantastique, un violon magique, à qui vous donnez la vie, une présence sur scène qui transcende… Quel est votre secret ? D’où vient votre force ? Mon secret et ma force, c’est l’amour que je porte à la musique. C’est aussi mon profond désir de rendre hommage à ma culture et aux miens, pour toutes les choses que nous avons traversées et pour tout ce que nous traversons encore. Je ne vais pas vous mentir ; il y des moments ou je me sens découragée… Comme vous le dites si bien, le chemin a été long et les défis sont encore multiples. Mais je dois à tous ceux qui ont cru en moi de continuer à avancer et de donner le meilleur de moi-même.
Pouvez-vous nous décrire votre enfance à Cuba dans les années 90, et nous conter un beau souvenir d’enfance lié au chant et à la musique ? J’ai eu une enfance très heureuse. Malgré la précarité matérielle à Cuba, je ne changerai cette période de ma vie pour rien au monde. J’ai grandi dans une famille extraordinaire avec ma grand- mère comme figure centrale. A la base ma famille voulait que je devienne une athlète… mais j’étais faite pour la musique et cela c’était très clair pour moi. Ma maman raconte d’ailleurs que quand j’étais encore petite, chaque fois qu’elle m’amenait voir un concert je lui disais : Maman moi aussi je veux être sur scène ! Elle m’a donc amené chez Maria Alvarez Rios ; une professeure très réputée à Cuba par son travail musical avec les enfants. Quand Maria m’a écouté elle a dit à maman : votre fille a raison ! Depuis ce jour, j’ai commencé mon parcours musical.
Je leur dois tout. Ma grand-mère et ma mère sont à la base de tout ce que je suis aujourd’hui. Je dis souvent que c’est comme si elles étaient les racines et les branches d’un arbre… et moi la fleur.
Yilian Cañizares
Un documentaire a été réalisé sur vous par Emmanuelle de Riedmatten, “Madre Habana“. On y découvre votre famille à Cuba, notamment deux piliers – votre maman, et votre grand-mère, qui vient de fêter ses 96 ans en toute beauté. Vous semblez entourée d’êtres de lumière. Quels rôles ont-elles joué dans votre épanouissement artistique ? Et les autres membres de votre famille, votre père, votre frère ? Je leur dois tout. Ma grand-mère et ma mère sont à la base de tout ce que je suis aujourd’hui. Je dis souvent que c’est comme si elles étaient les racines et les branches d’un arbre… et moi la fleur. Le public me voit moi, parce que je suis mise en lumière de par mon travail artistique, mais il faut savoir que je ne suis rien sans elles. Toute ma famille a joué et joue toujours un rôle fondamental dans mon épanouissement artistique.
C’est pour cela que je m’investis également dans l’enseignement. Ils nous faut des rôles positifs et encourageants, particulièrement pour les jeunes filles. Quant à mon père et mon frère, ils ont aussi une place très importante dans ma vie. J’ai eu aussi la chance de grandir avec des modèles masculins très positifs, surtout grâce à mon grand-père et mon père.
En raison du confinement vous n’avez pas pu retourner à Cuba depuis plus d’un an. Néanmoins, vous avez réussi à surmonter cette épreuve en créant un nouveau trio, le Trio Résilience, et en réalisant un nouveau disque ERZULIE, grâce auquel vous êtes aujourd’hui nominée Artiste de l’année par les Songlines Music Awards. Vous n’avez jamais cessé de travailler ! Comment la crise a-t-elle réussi à vous inspirer et à vous élever parmi les meilleurs musiciens au monde ? Je ne sais pas si je suis inspirée par cette crise, mais en tout cas j’ai choisi de ne pas me laisser aller et de me relever. Je sens que j’ai beaucoup de chance d’avoir la musique et me suis particulièrement accrochée à elle, alors que le monde entier s’écroulait autour de moi. La nomination par les Songlines Music Awards est effectivement une très belle reconnaissance et je suis très honorée de voir figurer mon nom parmi tant d’artistes merveilleux.
Pouvez-vous nous décrire votre espace de musique, chez vous, et ce que cette pièce représente pour vous ? C’est mon espace vital (rire). J’ai un joli tapis, mon violon, un petit piano, mon micro pour enregistrer, mes livres de musique, mon ordinateur et beaucoup d’espace et de lumière. J’ai besoin que cette pièce soit en ordre, toujours accueillante. J’allume souvent des bougies et je mets des huiles essentielles pendant que je travaille ou compose. C’est probablement la pièce ou je passe le plus de temps quand je suis chez moi.
Vous avez partagé la scène avec des musiciens légendaires – Ibrahim Maalouf, Omar Sosa, Youn Sun Nah, Richard Bona, Chucho Valdés, Roberto Fonseca, Dhafer Youssef, des ensembles classiques aussi de premier ordre, comme L’Orchestre de chambre de Lausanne. Que ressentez-vous, aujourd’hui, lorsque vous pensez à toutes ces expériences ? Waouh, c’est un rêve! Le partage est l’une de plus belles choses, quand on fait ce métier. La chance de pouvoir partager la scène avec des musiciens aussi talentueux et passionnés est un vrai cadeau et aussi une grande source d’inspiration pour moi.
Vous créez de la splendeur tous les jours, à travers votre art. Quelles sont les splendeurs qui vous inspirent ? Je suis très sensible à la beauté dans toutes ces formes. Je nourris mon esprit de tout sorte de splendeurs, particulièrement l’art plastique, la littérature, la bonne nourriture, la danse… Sans oublier la nature, qui incarne la plus grande splendeur que l’on puisse trouver !
L’élégance du cœur est aussi très présente dans votre œuvre, notamment dans votre dernier album ERZULIE. Pouvez-vous nous parler des vertus et des valeurs que vous aimez et que vous essayez de partager dans vos chansons ? L’amour évidemment, la tolérance, le respect de nos différences, la résilience… je suis aussi très engagée par rapport aux problèmes de justice sociale, notamment le racisme et les droits des femmes. C’est très important pour moi de faire passer toutes ces valeurs à travers mon art. Puisque j’ai la chance d’avoir une voix, je me sens aussi responsable de l’utiliser pour venir en aide à tous ceux qui n’ont pas la possibilité de s’exprimer.
Récemment vous avez cité Shakespeare : “My crown is in my heart, not on my head”. Est-ce un principe de vie ? Je trouve cette phrase merveilleuse! Dans notre société ou nous sommes tellement centrés sur le visible… Alors que le plus important est à l’intérieur. Oui c’est un principe de vie que j’essaye au mieux d’honorer.
Votre humanisme et votre talent ont contribué à votre nomination en tant qu’ambassadrice des Océans pour l’ONU. Vous avez créé une chanson, Yemaya, où vous invoquez la déesse des mers pour aider l’humanité. Pouvez-vous nous décrire cette incroyable aventure ? Oui c’est une incroyable aventure! Je suis très heureuse et très honorée de pouvoir mettre ma musique aux service d’une si belle cause ; celle de sauver nos océans. Le vrai travail commence maintenant, puisque mon rôle est de sensibiliser le public, à travers ma musique, à la crise qui affecte les océans. Je souhaite le faire avec joie et avec espoir. C’est pour cela que j’ai composé une chanson qui bouge, qui donne envie de danser !
Le vrai travail commence maintenant, puisque mon rôle est de sensibiliser le public, à travers ma musique, à la crise qui affecte les océans. Je souhaite le faire avec joie et avec espoir. C’est pour cela que j’ai composé une chanson qui bouge, qui donne envie de danser !
Yilian Cañizares
Pendant les mois à venir, je vais beaucoup parler dans les médias et dans mes réseaux sociaux de ce thème, parce que l’enjeu est vital pour la survie de notre humanité. La chanson sortira le 8 juin lors de la Journée mondiale des Océans. A la suite de cela, il y aura un défi sur les réseaux sociaux, dans lequel j’espère réunir autant de monde que possible.
© Luis Malibrán
Ma couronne est dans mon cœur, et non sur ma tête (Shakespeare). Je trouve cette phrase merveilleuse ! C’est un principe de vie que j’essaye au mieux d’honorer.
Récemment vous avez enchanté le public français, avec une reprise d’Edith Piaf, “Non, je ne regrette rien” aux côtés de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Aimeriez-vous faire un album des plus belles chansons françaises ? Pourquoi pas ? J’avoue avoir toujours un peu « peur » de mettre mon empreinte sur une tradition qui n’est pas la mienne. Quand j’ai repris Piaf je l’ai fait avec respect, mais je n’étais pas sûre de voir si le public allait aimer la version avec mon accent et la douceur avec laquelle je la ressens. Mais je dois dire qu’à chaque fois le public français m’a épaté… j’ai eu de nombreux standing ovations dans des salles en France à la fin de cette chanson. Peut-être devrais-je en faire plus ?
Dernièrement, le chef d’orchestre vénézuélien Gustavo Dudamel a été nommé à la direction musicale de l’Opéra de Paris. Pouvons-nous espérer voir un jour Yilian Cañizares installée aussi à Paris ? Oui c’est une très belle nouvelle. J’ai étudié avec Gustavo, lors de mon séjour au Venezuela. Nous étions élèves du célèbre professeur José Francisco Del Castillo à Caracas. Je garde le souvenir d’un magnifique musicien, mais surtout d’une personne avec un grand sens de l’humour. J’adore Paris. C’est une ville que je visite très souvent. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas songé à m’y installer, mais on ne sait jamais où la vie nous mène !
Quelles œuvres conseillez-vous pour découvrir le Jazz ? Pouvez-vous nous citer des artistes qui ont été importants pour vous ? Nina Simone, l’intégralité de son oeuvre. Chucho Valdés est également indispensable pour moi. Stéphane Grappelli, j’affectionne particulièrement son disque avec Petrucciani. Evidemment, Miles Davis… De ma génération, je dirais Christian Scott, Robert Glasper…
Outre la musique et le chant, vous pratiquez le bonheur tous les jours ! Le rire fait partie de votre art de vivre, la positivité, la belle énergie, aussi. Qu’est-ce qui vous fait le plus vibrer dans la vie ? J’adore danser, j’adore la mer et j’adore le chocolat. J’aime la vie en elle même. L’amitié, l’amour, le partage. Il ne faut pas grand chose pour être heureux.
Vous êtes aussi régulièrement mannequin pour des vêtements de marque colorés et joyeux ! Est-ce que l’élégance vous tient à cœur dans la vie de tous les jours ? Oui c’est super important pour moi. Notre façon de nous habiller dit quelque chose de nous, de qui nous sommes, de notre esprit. C’est aussi une fenêtre pour pouvoir exprimer notre personnalité et pour être créatif.
Avez-vous un projet cher, pour l’année 2021, que vous aimeriez partager avec le public ? Pour l’instant, c’est vraiment mon projet en collaboration avec l’ONU. Je travaille sur des nouvelles choses, mais c’est encore un peu tôt pour en parler !
Vous avez évoqué un jour votre grand-père sur scène, et vous lui avez dédié une chanson émouvante, interprétée avec l’Orchestre de chambre de Lausanne, “Donde hay amor” (Là où est l’amour). Que représente cette chanson pour vous ? Si votre grand-père était parmi nous aujourd’hui, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise ? C’est une chanson qui est très proche de mon cœur. Mon grand-père nous a quittés très tôt, mais je garde en moi la présence de son amour. Parfois avant de me coucher je lui parle et je lui demande de me conseiller et de me guider. Il y a tellement de choses que j’aurais aimé aborder avec lui. S’il était là, parmi nous, j’aimerais qu’il me dise de continuer à avancer sans peur dans la vie, de ne pas laisser mes chagrins noyer mon espoir, et de rester confiante, parce que l’amour va me surprendre encore.
Biographie de Yilian Cañizares
Yilian Cañizares est née à Cuba en 1980. Son parcours, en quelques dates (cliquer sur les liens pour écouter l’artiste !) :
1997 – Obtention de la bourse au Venezuela
2000 – Obtention de la bourse d’études en Suisse
2008 – Prix au Montreux Jazz Festival
2013 – Sortie de son premier album « Ochumare » (Arc-en-ciel)
2015 – « Invocación », une belle introduction à l’œuvre de l’artiste. Concert au festival de Cully.
2018 – Album « Aguas » avec Omar Sosa, concert au festival de jazz de Vienne
2018 – Première collaboration avec le mythique Chucho Valdés, Tourcoing Jazz festival
2019 – Collaboration avec Ibrahim Maalouf, concert grandiose à l’Olympia, Paris.
2019 – Album « Erzulie », enregistré à New Orleans
2021 : Nominée Artiste de l’année par les Songlines Music Awards (Royaume-Uni).
Avril 2021 : nommée Ambassadrice des Nations-Unis pour les Océans.
Pour aller plus loin : Abécédaire amoureux du Jazz, par Pascal Kober, éditions Snoeck, disponible aussi en version UK.
Yilian est l’un des talents les plus incroyables de la nouvelle génération de musiciens cubains. Elle est virtuose, expressive, spontanée et a une grâce qui fait d’elle la favorite de nous tous.
Chucho Valdés
