Il est à l’origine de l’un des plus beaux Jardins remarquables de France, le Potager des Princes, à Chantilly. Il est aussi sauveur du Patrimoine historique français depuis plus de cinquante ans, avec la création du Musée Vivant du Cheval aux Grandes Ecuries du Domaine de Chantilly. Partisan de l’excellence, il a également été le plus jeune écuyer de France. Voici le portrait d’un bâtisseur, et d’un Seigneur au grand cœur : Yves Bienaimé.
Le Potager des Princes va bientôt fêter ses vingt ans d’existence. Quel regard portez-vous sur votre création aujourd’hui ? Etes-vous heureux du résultat ? Oui, je suis heureux du résultat, le Potager est devenu un véritable paradis pour les familles et les enfants, avec une nature fleurie et épanouie comme à l’époque d’André Le Nôtre. Nous avons de nombreux animaux, des animations ludiques et pédagogiques, un théâtre également, qui permet l’organisation de grandes pièces classiques, de concerts et d’opéras, le tout dans un ensemble avec de belles perspectives. L’acteur Jacques Weber, qui a joué dans notre théâtre, disait que lorsque l’on vient ici, on peut se demander si le public vient pour les acteurs, ou pour le cadre !
Le Potager est fleuri comme au XVIIIème siècle, sur les terrasses de Le Nôtre du XVIIème siècle et avec une quantité de jardins différents – romantiques, anglais, japonais, italiens… Nous avons une multitude de jardins beaux et très variés. Pour les 20 ans du Potager des Princes, malgré la crise, nous allons créer une belle salle dédiée entièrement, avec des tableaux représentant les jardins – mes créations telles que je les ai imaginées et créées, au bout de vingt ans d’existence. Les toiles sont belles et grandes, de 1 mètre sur 1 mètre 30, et réalisées par une artiste de talent, Sonia Lalic.
Ses œuvres montrent notamment les treillages magnifiques réalisés pour le Potager, inspirés des jardins du XVIIème et XVIIIème siècles. J’aurais aimé tous les garder, mais ils ne résistent pas au temps et coûtent chers en entretien. C’est pour cela que l’on en voit très peu dans les jardins, on ne les trouve que dans les dessins anciens. Nous avons déjà été obligés d’en retirer certains dans le potager. Il m’a semblé important toutefois de marquer leur création dans l’histoire du potager.
Lorsque j’ai repris le Potager au début des années 2000, c’était en ruines, les terrasses étaient en mauvais état, tout était à l’abandon. J’ai sauvé ce parc d’un projet d’urbanisme composé de cinquante-huit pavillons ! Le potager a été créé par inspiration, c’est ce qui lui confère cette force spirituelle. Mon vœu le plus cher serait que le jardin reste après moi, et ouvert au public. Que cette œuvre spirituelle puisse rester et se perpétuer.
La réouverture aura lieu le 19 mai prochain, après de longs mois de fermeture. Avez-vous des nouveautés que vous aimeriez partager ? Effectivement, la situation reste compliquée, l’année dernière a été difficile avec des pertes sèches importantes suite à la fermeture, près de 100 000 euros de pertes en 2020. Cela a été difficile pour le théâtre aussi, géré par ma fille Virginie : nous avions une jauge de 140 places au lieu de 200, ce qui a été difficile à équilibrer. Mais elle continue à travailler sur de nouveaux projets, pour faire plaisir au public lors de la reprise prochaine.
Notre chef jardinier – Serge Saje, est parti à la retraite, après 20 années où il a su parfaitement assumer sa mission de jardinier-en-chef, avec énergie et enthousiasme. Depuis, nous avons recruté une jeune paysagiste très bien, Camille Boterman, qui a su, avec passion et professionnalisme, prendre la succession de Serge Saje. Elle s’est investie comme si le potager était sien, ce que j’ai toujours voulu pour mes collaborateurs dans toutes mes entreprises en autofinancement depuis 60 ans. Elle nous aide beaucoup dans tous les travaux – taille, semis, plantations, pour assurer un magnifique jardin cette année.
Nous avons aussi revu et agrandi les enclos de animaux, de manière à leur donner le plus de liberté possible – ils sont à présent presque tous en semi-liberté. Les oies bernaches, les cygnes, les canards, les paons, sont déjà tous en liberté. Je suis heureux de la tâche accomplie. Mon bonheur est de transmettre le goût du beau que le ciel m’a donné !
Nous poursuivrons les animations avec les écoles, car la pédagogie est très importante, c’est la meilleure animation ! Pour moi, étant de formation écuyer-professeur, cela est essentiel. Les écoles reviennent d’année en année avec fidélité, c’est une belle récompense. Toutes les écoles sont accueillies sur place, où elles peuvent piqueniquer, en découvrant de beaux jardins dans une ambiance bucolique et champêtre, cela est important notamment pour les classes qui viennent de la banlieue parisienne.
Il reste bien sûr encore beaucoup de travail à faire dans le potager, encore deux ans pour tout réagencer dans un esprit de partage, et pour adapter le potager à la demande d’aujourd’hui. Mais nous sommes contents à l’idée de poursuivre les visites guidées, les projets avec les écoles, des ateliers nature, dans le but de transmettre le goût du beau aux élèves.
Nous sommes contents à l’idée de poursuivre les visites guidées, les projets avec les écoles, des ateliers nature, dans le but de transmettre le goût du beau aux élèves.
Yves Bienaimé
J’aimerais ajouter aussi de la végétation sur les berges, finaliser l’installation d’arrosage automatique avec l’eau de l’étang, et aussi relancer le théâtre, des événements festifs, comme les vins d’honneur en journée pour les mariages.
Vous organisez habituellement beaucoup d’événements au Potager des Princes ? Oui, avant le Covid nous organisions beaucoup de réceptions privées, nous avons eu le roi de Bulgarie, avec un dîner en son honneur, et de nombreux notables… L’endroit est très prisé pour les déjeuners champêtres, car le cadre s’y prête merveilleusement bien. Nous ne faisons plus de soirées de mariage, par respect du voisinage, mais en journée, nous pouvons accueillir des rassemblements.
Le Potager contient beaucoup de coins poétiques, différents les uns des autres, entre le grand jardin, le verger, le théâtre au bord de l’eau, sa guinguette… Quel est l’endroit que vous aimez le plus et à quel moment de la journée ? J’aime beaucoup l’atmosphère en fin de journée, lors du soleil couchant, surtout l’été. J’aime me ressourcer vers la guinguette, voir les carpes dans l’eau, et aussi les oiseaux, les canards et les paons, dans une douce lumière. Tout est parfaitement paisible et beau, j’aime ces moments-là.
C’est un endroit qui aurait sans nul doute plu à l’artiste-peintre Claude Monet. Vous arrive-t-il de penser à lui ? Oui ! Mais nos jardins sont très différents. Il avait construit un jardin remarquable avec des fleurs, des nénuphars et un petit pont japonais… Ici, je ne peux pas avoir de nénuphars, sinon les canards les mangent ! J’ai créé un jardin différent, un potager fleuri comme au XVIIIème siècle… J’aime avoir un grand mélange d’oiseaux ici, ils font vivre le potager.
Est-ce que vous avez envie de vous initier à la peinture, comme Monet ? Non, je ne sais pas peindre, je laisse cela à ma femme Annabel, qui est très douée ! En revanche j’aime faire des photographies, la plupart des images dans l’album consacré au Potager sont des images que j’ai prises.
Le Potager est un véritable paradis pour les enfants, avec de nombreux animaux – poules, chèvres, lapins, poneys… Est-ce que les projets pédagogiques avec les écoles se poursuivront à long terme ? Oui, nous continuerons tous nos projets pédagogiques avec les écoles de la région et aussi d’Ile de France, il y a beaucoup de demande, ce qui est très bien. C’est essentiel de poursuivre ce travail de sensibilisation auprès des élèves.
Le Potager contient un théâtre, le Théâtre de la Faisanderie, qui accueille de grands artistes chaque année. Est-ce important pour vous de continuer à développer les activités de théâtre et de chant ?Tout à fait, c’est ma fille Virginie qui s’en occupe, nous allons tout faire pour le développer. Ce n’est pas simple car la saison estivale est courte, et qu’il faut rentabiliser un théâtre de 200 places. Mais nous sommes parvenus à équilibrer son fonctionnement, nous allons continuer.
Si vous pouviez remonter dans le temps, quels seraient les personnages historiques que vous auriez aimé inviter pour un déjeuner sur l’herbe ? (Sourire) J’aurais aimé inviter André Le Nôtre, le Duc d’Aumale, Voltaire, les grands écrivains romantiques comme Alfred de Vigny, vous connaissez “La mort du loup” ? Magnifique poème… J’aurais aimé aussi inviter Edmond Rostand – Cyrano de Bergerac est mon livre préféré ! “Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !”, c’est ce que j’ai fait, sans être subventionné. Je les aurais tous invités, mais chacun séparément, pour profiter de leur présence !
André Le Nôtre Voltaire Alfred de Vigny Le Duc d’Aumale
Vous connaissez “La mort du loup” ? Magnifique poème… J’aurais aimé aussi inviter l’écrivain Edmond Rostand – Cyrano de Bergerac est mon livre préféré ! “Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !”, c’est ce que j’ai fait, sans être subventionné. Je les aurais tous invités, mais chacun séparément, pour profiter de leur présence !
Yves Bienaimé
Qu’est-ce qui vous apporte le plus de joie aujourd’hui, le Potager, ou encore les chevaux, que vous montez régulièrement ? Ma plus grande joie c’est de monter tous les jours à cheval. Mon plus beau moment est lorsque je dresse un cheval dans les Grandes Ecuries. Lorsque je suis dans ce lieu, je suis parfaitement heureux, je suis “dans mon cheval”, comme en forêt. Parfois mon épouse me demande si j’ai aimé la forêt lors de mes sorties équestres, je luis réponds “je ne l’ai pas vue, j’étais dans mon cheval !” (rire) C’est ainsi, c’est parce que le cheval m’a sauvé d’un handicap de prononciation dans mon enfance que je lui ai voué ma vie. Le cheval est tout pour moi !
En 1959, j’avais découvert les Grandes Ecuries, les bâtiments étaient à l’abandon, je m’étais juré de les faire connaître, et elles ont été sauvées grâce à la création du Musée Vivant du Cheval et des spectacles pour le public. Là aussi ma mission a été accomplie ! Je remercie le Ciel de m’avoir insufflé l’idée et la force de sauver les Ecuries en les faisant connaître et en les ouvrant au grand public. J’ai ainsi sauvé deux lieux, les Grandes Ecuries et le Potager des Princes, le tout sans subventions, car pour créer, il faut être libre. Je suis heureux d’avoir accompli cette mission.
J’ai ainsi sauvé deux lieux, les Grandes Ecuries et le Potager des Princes, le tout sans subventions, car pour créer, il faut être libre. Je suis heureux d’avoir accompli cette mission.
Vous formez avec votre épouse Annabel, vos trois filles, vos gendres et vos petits-enfants, une famille artistique exceptionnelle. Etes-vous aujourd’hui un père et un grand-père comblé ? Peut-on dire que le bonheur est dans la création ? Oui, ma famille est ma plus grande fierté, j’ai trois enfants, trois filles, toutes les trois des artistes d’exception : outre Virginie, comédienne et metteur en scène, il y a Sophie, directrice du Musée Vivant du Cheval, écuyère et artiste équestre, et Sandrine, céramiste de grand talent, dans le pays d’Auge, près de Pont-l’Evêque.
Elles sont bien meilleures que moi, elles sont pleines de bonté, généreuses, et elles m’ont dépassé intellectuellement. J’ai aussi sept petits enfants merveilleux. Tous les dimanche matins, vers 11 heures, les plus petits viennent donner à manger aux animaux, c’est un grand bonheur. J’aimerais que le Potager reste dans la famille, et qu’il soit ouvert au public, c’est mon vœu le plus cher.
Si le Duc d’Aumale, qui a légué le domaine de Chantilly à l’Institut de France, était encore présent aujourd’hui, qu’auriez-vous aimé qu’il vous dise ? Déjà, j’aurais remercié le Duc qui a sauvé Chantilly en donnant son domaine à l’Institut de France. Grâce à lui, Chantilly est une ville où l’on peut connaître une certaine douceur de vivre comme au XIXème siècle…
Ce que j’aurais aimé qu’il me dise, s’il était là ?
“J’aurais fait comme vous !”
© Dunbar
Vie et destin d’Yves Bienaimé
Pour aller plus loin : Yves Bienaimé, l’écuyer-jardinier, ouvrage de référence, par Pascal Renauldon, journaliste et directeur de l’agence R&B Presse, aux Editions du Rocher.
Informations pratiques sur le Potager des Princes : 17 Rue de la Faisanderie, 60500 Chantilly. Téléphone : 03 44 57 39 66. Site internet : www.potagerdesprinces.com
Pour connaître la programmation du Théâtre de la Faisanderie, dirigé par Virginie Bienaimé, voici le site : www.lasceneaujardin.com. Pour assister aux spectacles équestres, créés par Virginie et Sophie Renauldon-Bienaimé : Les spectacles équestres – Domaine de Chantilly. Pour découvrir les créations de Sandrine Badarello, céramiste d’exception et l’aînée des sœurs Bienaimé : terre de la vallee (atelier-ceramiste.fr)
Remerciements à Yves Bienaimé pour l’utilisation de certaines images du Potager, et pour la grâce qu’il m’a apportée avec son épouse Annabel, ainsi que leurs trois filles depuis dix ans. La photo en tête d’article représente l’écuyer-bienfaiteur dans son jardin, un instant de bonheur capturé en août 2019, six mois avant la fermeture officielle.
Le Potager des Princes rouvre ses portes le 19 mai prochain. Merci d’avance pour votre précieux soutien.
Ce que j’aurais aimé que le Duc d’Aumale me dise, s’il était là ?
“J’aurais fait comme vous !”
Ici à 19 ans, au Concours Complet de Saumur, en tenue des Haras nationaux, 1954.