Elle habite une commune tranquille du Vaucluse, entourée d’œuvres réalisées avec amour et patience. Françoise Girerd exerce un métier magnifique : elle réalise des portraits de châteaux et de jardins remarquables, un travail qui requiert minutie et constance. Le Musée du Louvre a déjà fait appel à elle, ainsi que la Réunion des Musées nationaux. Entretien avec une artiste discrète, qui fait honneur au patrimoine historique français.
Comment est née votre vocation d’illustratrice et depuis combien de temps faites-vous ce métier ? Ma vocation est née par hasard, après avoir dessiné pour le plaisir le lieu dans lequel j’ai grandi : un mas pluri-centenaire languedocien et son jardin du XIXème siècle. Cet univers a nourri mon imaginaire, mais je ne l’ai vraiment apprécié dans ses particularités qu’à l’âge adulte, à travers le dessin et les études préalables historiques et iconographiques que j’ai entreprises pour comprendre l’évolution de ce lieu. Sans le savoir, j’ai opéré comme un illustrateur qui traduit par le dessin une histoire racontée dans un livre. A ceci près que l’histoire en question se lisait au travers d’un paysage viticole ponctué de témoins tangibles d’une richesse passée.
Sous le Second Empire, le propriétaire des lieux avait en effet mis en scène sa réussite sociale en théâtralisant son domaine, comme il était d’usage de le faire alors : des portails élégants, des plantations de buis, la présence de bassins, statues, d’essences d’arbres rares de grande hauteur étaient – et sont toujours – autant de chapitres relatant l’état d’esprit de l’époque. Lorsque j’ai contemplé les dessins achevés, j’ai eu l’étrange sensation d’avoir plus fait le portrait du propriétaire que celui de sa propriété. Forte de cette passionnante expérience personnelle, c’est l’opportunité d’un licenciement économique, l’envie de faire un métier qui me correspondait vraiment, ainsi que des rencontres avec des professionnels, qui m’ont décidée à m’installer à mon compte en tant qu’illustratrice en 2006, avec une spécialisation dans la mise en valeur des sites du patrimoine bâti et des jardins.
Quels sont les types de projets qui vous plaisent le plus ? Depuis mon enfance, je suis attirée par la beauté des dessins d’architecture qui expriment toujours intrinsèquement le dessein de leurs auteurs. J’adore traduire par les vues en élévation, c’est-à-dire de face, la pureté des lignes et le rythme induit par les horizontales et les verticales des bâtiments. Il y a toujours une logique esthétique et d’usage, que seul ce mode de représentation loyale arrive à traduire, car il n’y a aucune déformation de perspective. J’ai cependant une réelle prédilection pour la représentation des jardins historiques en vue à vol d’oiseau, probablement parce que je suis paysagiste de formation et passionnée par l’histoire des jardins.
Lorsque je lis un plan de masse, je vois instantanément le jardin en 3D, dans toute sa poésie et avec tous ses codes de représentation. Lorsque je le dessine en vue à vol d’oiseau, je suis dans ce jardin, à l’ombre de ses arbres, avec le jardinier qui creuse les trous de plantation, dans l’atelier des tailleurs de pierre, dans le questionnement du commanditaire de l’époque, au milieu des fêtes qu’il y organise… Je finis par confondre le dessin avec un voyage dans le temps, une parenthèse enchantée dans le clos d’un jardin ou l’immensité d’un paysage, et suis chaque fois émerveillée par le résultat final qui n’est en fait que le résultat de simples artifices graphiques : absence de ligne d’horizon, de points de fuite et de proportions. Cet émerveillement est aussi une belle récompense, car le travail est de longue haleine. L’usage de l’encre et de la main interdisent toute erreur, imposant anticipation et une grande concentration de tous les instants. Le papier et les lavis, quant à eux, réagissent à la chaleur, à l’hygrométrie, et demandent beaucoup d’attention. Ces contraintes sont parfois épiques, notamment lorsque le jardin est si vaste que sa représentation peut occuper une surface de papier d’1m2. L’angoisse de la page blanche est de circonstance : il faut être infaillible du début à la fin de l’aventure.
Est-ce que la restauration de Notre-Dame est un projet qui pourrait vous tenter ? ou le Château de Chantilly ? Je serais tentée par le Château de Chantilly, d’autant que son jardin était le préféré d’André Le Nôtre. Le défi résiderait cependant dans la façon de le représenter de façon inédite : c’est un site chargé d’histoire, aux collections particulièrement riches, d’une extrême qualité. Il est en effet essentiel dans mon métier, sachant que je travaille à la commande, de proposer aux gestionnaires de sites ouverts à la visite et à leurs visiteurs, à la fois une vision originale des lieux et une création qui réponde à leurs besoins : une illustration destinée à devenir un plan de visite ? Un dessin décliné en objet ludique vendu en édition limitée en boutique ? Un simple vecteur de communication ou un support de mémoire, singulier, onirique et fortement identitaire ?
Pouvez-vous nous donner un exemple de chef d’œuvre architectural qui vous touche ? Le viaduc de Millau, parce qu’il est non seulement beau, magistral, mais est également de mon point de vue, par excellence, l’expression du génie humain. J’ai suivi avec ferveur, dès 2001, les articles du Moniteur des Travaux Publics qui relataient chaque semaine, tel un feuilleton, les défis techniques et humains que sa construction a engendrés. C’est un ouvrage d’art qui a concentré et concentre encore la fierté de ceux qui ont eu la chance de participer à son élévation. La Tour Eiffel du XXIème siècle, en quelque sorte.
Vous avez travaillé sur de nombreux jardins remarquables. Lequel vous a particulièrement plu? Tous les sites que j’ai dessinés sont attachants, car ils ont tous une histoire qui leur est propre. Chacun a sa personnalité, son style, ses blessures, son “esprit des lieux”. Chacun de mes commanditaires avait sa marque à apposer, un amour, voire une passion du lieu qu’il souhaitait partager, un héritage à s’approprier et à transmettre. Il existe quantité de jardins formidables, si ce n’est remarquables, intimes ou ouverts à la visite, qui ont la chance d’être entre les mains de personnes talentueuses, passionnées, conscientes de la matière vivante qu’est le jardin et de sa fragilité. Matière d’autant plus vulnérable que sa plasticité autorise des effets de mode parfois dommageables et que les gestionnaires n’ont, souvent, pas la main sur l’environnement immédiat du jardin.
Lorsque je le dessine en vue à vol d’oiseau, je suis dans ce jardin, à l’ombre de ses arbres, avec le jardinier qui creuse les trous de plantation, dans l’atelier des tailleurs de pierre, dans le questionnement du commanditaire de l’époque, au milieu des fêtes qu’il y organise…
Y a-t-il des artistes qui vous ont particulièrement nourrie et influencée ? L’artiste qui m’a le plus marquée, je crois, est Louis Brétez, qui a dessiné Paris au XVIIIème siècle en vue à vol d’oiseau. Ce plan d’ensemble et de détails, dit “de Turgot”, à la fois naïf, rigoureux, artistique, un peu systématique, quelquefois tricheur, mais tellement riche, me fascine toujours. Je n’ai fait que transposer, par la force de l’observation, ses principes de représentation au monde des jardins. Les artistes qui me touchent le plus sont les graveurs, souvent anonymes, qui ont reproduit, à l’envers, avec une dextérité fantastique et une minutie du geste incroyable, les dessins d’autres auteurs.
Quel parcours conseillez-vous aux jeunes qui souhaiteraient faire des études artistiques, mais qui hésitent? Etant autodidacte, il me serait difficile de conseiller tel ou tel autre parcours artistique, d’autant que j’ai en quelque sorte “inventé” mon métier atypique. L’illustration est un métier magnifique, un creuset dans lequel peuvent s’épanouir tous ceux qui aiment dessiner, ont une grande curiosité intellectuelle, une hypersensibilité, de l’empathie, et comme dans ma spécialisation, un goût prononcé pour l’architecture, l’Histoire et l’art des jardins. Le seul conseil que je pourrais donner à de jeunes illustrateurs est de ne jamais perdre de vue que leurs dessins sont des œuvres d’art, au même titre que toutes les autres œuvres de l’esprit, et que le dessin est le prolongement de l’esprit.
Le seul conseil que je pourrais donner à de jeunes illustrateurs est de ne jamais perdre de vue que leurs dessins sont des œuvres d’art, au même titre que toutes les autres œuvres de l’esprit, et que le dessin est le prolongement de l’esprit.
Biographie
Françoise Girerd est Illustratrice depuis 2006. Paysagiste de formation, l’artiste raconte à travers ses dessins d’architecture et ses vues à vol d’oiseau, l’histoire intime des belles bâtisses et des jardins. Site internet et contact : www.francoise-girerd.com