Sa passion depuis toujours est le patrimoine français. Dans l’Oise, on lui doit la roseraie du Domaine de Chaalis et la création des Journées de la Rose, qui rassemblent près de 15 000 visiteurs chaque année. Après 30 ans au service de l’un des plus beaux sites de France, Aymar de Virieu est retourné dans son domaine familial, au Château de Pupetières, dans l’Isère. Ce joyau du patrimoine français, fréquenté autrefois par le poète Lamartine, et restauré par Viollet-le-Duc à la fin du XIXème, a vécu une histoire incroyable depuis des siècles. Aymar de Virieu évoque pour nous son passé, et ses splendeurs…
Vous êtes le propriétaire d’un château restauré dans les années 1860 par un architecte de génie, Viollet-le-Duc, connu notamment pour ses grands travaux à Notre-Dame de Paris.
Est-ce une lourde responsabilité ? Quelles sont vos missions principales ?
On ne se pose pas cette question, j’ai reçu ce château de mon oncle Jacques de Virieu et son épouse qui m’ont fait confiance pour l’entretenir, l’animer et le transmettre. Jusqu’à présent j’avais une activité professionnelle passionnante qui ne me laissait pas de temps pour remplir cette mission.
La mission principale est de faire connaitre ce joyau de l’architecture Néogothique. Ce château a été construit entre 1860 et 1870. Viollet-le-Duc venait de restaurer pour Napoléon III le château de Pierrefonds.
Pour moi, c’est un peu le château de la Belle au bois dormant situé dans un environnement idyllique, l’eau est omniprésente et donne la vie. J’éprouve beaucoup d’admiration pour cet architecte qui a bouleversé les styles de l’époque, il était pour moi à la fois architecte, dessinateur, décorateur et bâtisseur, il avait un peu la folie des grandeurs en créant ce style appelé « Néogothique ».
Ma mission est multiple et nécessitera des investissements pour un développement durable. Nous allons communiquer pour faire connaître ce château du grand public, y organiser des événements sur des thèmes que nous aimons.
Une fête des Plantes que nous avons lancée fin septembre, nous souhaitons également lancer une fête sur “Les Savoirs faire du Patrimoine”. Je suis impressionné par la qualité du travail de ces hommes et femmes qui travaillent avec passion pour notre patrimoine en France, ce savoir-faire est une histoire de connaissance et de passion. Pupetières sera l’écrin idéal pour accueillir cette manifestation que nous programmons pour 2024, car il nous faut convaincre et trouver des partenaires pour une réussite totale.
Nous organiserons certainement d’autres événements type concert, nous avons la chance d’avoir un terrain exceptionnel pour recevoir ce type d’événement. Nous avions prêté notre site au département, ils ont réalisé un magnifique spectacle (son et lumière) pour le festival Berlioz en 2018, ce fut grandiose. 5000 mélomanes ont pu écouter le chef d’orchestre Henriquet avec plus de 100 musiciens. Ce fut un grand succès qui a marqué les esprits.
Pupetières est un témoignage quasi unique de l’œuvre de Viollet-le-Duc dans le domaine privé. C’est l’écrivain Prosper Mérimée qui présente Viollet-le-Duc à votre ancêtre, Alphonse de Virieu, lors d’un déjeuner à Paris en 1860. En savons-nous un peu plus de cette rencontre et des liens qui ses sont créés entre les deux hommes ?
Ce déjeuner a été organisé par Monsieur Prosper Mérimée qui était Inspecteur des Monuments Historiques, il avait travaillé avec Eugène Viollet le Duc dès sa nomination en 1834.
Alphonse de Virieu souhaitait restaurer Pupetières, le château de Virieu n’appartenait plus à la famille. Il voulait restaurer Pupetières pour affirmer ses origines médiévales, Viollet-le-Duc était en train de restaurer le château de Pierrefonds pour Napoléon III. Il voulait rencontrer Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc pour lui confier ce travail. Pour faciliter cette entrevue, il demande à Prosper Mérimée d’organiser un déjeuner à Paris. Alphonse avait de l’admiration pour cet architecte. Il lui confie la restauration de l’ouvrage. Les premiers plans datent de 1860; en 1868, une grande fête est donnée pour faire découvrir ce lieu. Alphonse apprend que le château de Virieu est à vendre, il le rachète.
Viollet-le-Duc a travaillé sur l’architecture mais aussi sur les paysages, il a fait entreprendre de gros travaux pour acheminer l’eau pour ceinturer le château de douves. La source se situe à environ un kilomètre du château, cette source alimente aussi les cascades et l’étang, la serve bleue.
Jean-Luc Taupin écrit : « Je souligne particulièrement l’intérêt que présente ce bâtiment qui peut être considéré comme la matérialisation très fidèle de la sensibilité, de la culture et de la pensée théorique de Viollet-le-Duc d’autant plus remarquable qu’elle s’y exprime à tous les niveaux de la forme architecturale, de la structure, du décor intérieur peint ou sculpté, de l’ameublement et des objets familiers.
Outre Viollet-le-Duc et Denis Darcy qui ont rêvé cet « objet de désir » qu’est l’architecture, citons parmi les hommes et les femmes qui ont vécu et fait Pupetières, François-Henri président de la Constituante, sa fille Stéphanie, artiste peintre, les poètes Alphonse de Lamartine, Anna de Noailles et Jongkind.
Alphonse de Lamartine a écrit deux poèmes à Pupetières “Le vallon” et “L’automne”. Aymon de Virieu et Lamartine sont des amis d’enfance, cette amitié nous laisse une correspondance de plus de mille lettres.
Aymar de Virieu
Quels sont vos espaces préférés hérités de Viollet-le-Duc, ceux dans lesquels vous aimez vous ressourcer ? Des coins secrets, aussi ?
En dix ans, j’ai appris à aimer tous les espaces. Il n’y a pas d’espaces préférés, j’aime l’ensemble du site, intérieur et extérieur, chaque pièce est un décor – le Grand Salon, la bibliothèque et la chapelle sont exceptionnels.
La bibliothèque est un endroit sublime, avec plus de 40 000 ouvrages répertoriés. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est une œuvre de passionnés de livres, qui a été réalisée sous plusieurs générations, en regardant seulement les reliures armoriées puis l’inventaire, il s’agit d’une bibliothèque remarquable.
Cette bibliothèque a été conçue par deux personnes, Alphonse, homme de lettres et son fils Wilfrid, un scientifique polytechnicien original. Avant la révolution, il y avait une petite bibliothèque avec notamment trois incunables. A la révolution, pour les protéger, ils ont enterré les livres ne pouvant pas les transporter. En 1806, La Marquise de Virieu achète les ruines de son château comme bien National et récupère ses livres. Il reste deux incunables aujourd’hui, l’un des deux a été volé dans les années 1960.
Nous avons aujourd’hui un inventaire effectué au début du XXème siècle par fiche dans l’ordre alphabétique, j’aimerais avoir aujourd’hui, un inventaire numérique. Ma cousine, qui est une jeune Chartiste, essaie de se rapprocher du département et de la région pour avoir des personnes compétentes et budget pour le faire. Elle a retrouvé des correspondances entre Catherine de Médicis, Henri IV et l’un de mes aïeuls. Il y a de l’ordre à mettre dans ces correspondances et cela demande non seulement du temps, mais aussi des connaissances; j’avoue ne pas maîtriser le latin médiéval et le vieux français.
L’énergie de votre ancêtre, Alphonse de Virieu, pour mener à bien la restauration dans la seconde moitié du XIXème siècle a été nourrie par les encouragements d’un grand homme, qui n’est autre que le poète Alphonse de Lamartine, son parrain, et meilleur ami de son père, Aymon de Virieu. Le poète ne s’était jamais vraiment remis du décès de votre aïeul en 1841.
A son sujet, il écrit à Stéphanie de Virieu : “Je perds en lui autant que vous-même, tout le passé, tout ce qui me restait d’affection, de jeunesse dans ma vie. Je n’ai plus d’ami que dans mes souvenirs et dans le ciel.” Il sera présent toute sa vie auprès du jeune Alphonse pour l’aider. Peut-on dire que Pupetières est aussi indirectement l’œuvre de Lamartine ?
Alphonse de Lamartine a écrit deux poèmes à Pupetières “Le vallon” et “L’automne”. Ce sont des amis d’enfance, cette amitié nous laisse une correspondance de plus de mille lettres.
Lamartine avait partagé des ballades inoubliables à cheval au début du XIXème dans le cadre romantique du château en ruines et des Terres froides. Ces escapades nourriront nombre de ses poèmes dans son chef d’œuvre “Méditations poétiques”. Il faut ajouter aussi que votre ancêtre, Alphonse de Virieu, avait sauvé le poète de la noyade. Est-ce que vous y pensez, parfois, à cette relation amicale, à ces échappées belles ? Partagez-vous le gout de la mélancolie qui existait chez les deux hommes deux siècles plus tôt ?
Cette époque est marquée par une sensibilité qui passait par les mots, les belles lettres. Pupetières est pour Lamartine, un lieu de vacances où adolescent, il venait à cheval du Grand Lemps pour rêver, il a écrit le Vallon, nous avons dans le vallon de Pupetières un arbre ancestral qui porte le nom de Lamartine.
Alphonse de Lamartine et Aymon de Virieu étaient des amis inséparables depuis la tendre enfance, des liens qui m’ont toujours touché, nous avons des milliers de lettres qui sont un véritable régal à lire. Quelle délicatesse, une manière propre de cette époque…
Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,
N’ira plus de ses voeux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d’un jour pour attendre la mort.
Début du poème, Le Vallon, par Lamartine.
Ils aimaient tous les deux venir contempler les ruines du château. Alphonse a connu la restauration qui a été réalisée par son filleul. Je comprends la raison de ses belles échappées dans ce cadre où l’homme a laissé la Nature grandir sans s’en préoccuper.
Cette amitié est fascinante, j’aurais aimé l’écouter, pour nous la conter.
Quels sont vos plus beaux souvenirs d’enfance à Pupetières, dans le “monde d’avant” ?
Pupetières était un lieu de résidence d’été ou nos familles se rassemblaient, on se suffisait à nous-mêmes. La famille était notre univers… Que de souvenirs…
Nous vivons dans un monde où tout doit aller très vite. La vie était basée sur la famille où l’on aimait se retrouver tous ensemble avec des horaires et un respect des règles de la maison. Nos cousins venaient tous et pour nous les jeunes, nous avons passé des vacances formidables avec des souvenirs qui resteront gravés dans nos mémoires. Des jeux simples, des parties de cache-cache.
Pour moi, il est important d’ouvrir un lieu historique au public, nous avions le sens du beau, un goût oublié. Nous prenions le temps de construire pour vivre, recevoir, lire, écrire, jouer de la musique…
Quand on est à l’intérieur d’un site historique, on a l’impression d’être protégé pour l’éternité.
J’aime Pupetières, nous avons toujours vécu en ce lieu féérique, c’est la passion qui m’anime et l’envie de transmettre ce bien avec une activité qui permet de ne pas être une trop lourde charge.
Nous voyons aujourd’hui de nombreux châteaux de famille qui sont vendus à des Japonais, Chinois ou riches industriels. J’aimerais conserver ce lieu et pouvoir le transmettre. Du travail…
Pour moi, il est important d’ouvrir un lieu historique au public, nous avions le sens du beau, un goût oublié. Nous prenions du temps de construire pour vivre, recevoir, lire, écrire, jouer de la musique… Quand on est à l’intérieur d’un site historique, on a l’impression d’être protégé pour l’éternité.
Le Château de Pupetières a été classé Monument Historique en 1972. Depuis que vous êtes propriétaire, vous menez une formidable politique d’ouverture au public, avec notamment le festival Berlioz et la Journée des Plantes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quels sont les grands projets en cours ?
Le Festival Berlioz est organisé d’une main de Maître par le Département, nous avons eu la chance de les accueillir il y a trois ans juste avant la crise du Covid.
Pour les Plantes, je suis un passionné et je vais organiser deux éditions par an, l’une au printemps, dernier week-end en avril et l’autre en automne, le dernier week-end de septembre.
Vous envisagez aussi la création d’un Jardin à la Française, en hommage à Viollet-le-Duc. Cette initiative est importante pour vous ?
J’aimerais créer un Jardin remarquable à Pupetières avec des spécialistes du monde du jardin, car Alphonse de Virieu n’a pas eu le temps de le finaliser. J’ai effectivement une passion pour les jardins et les fleurs. Plaisir des yeux et du nez, Une maison sans jardin est un peu une personne sans âme, c’est la raison pour laquelle il y aura un jardin à Pupetières avec de nombreuses plantes vivaces. Les plantes sont vivantes et donnent un véritable sens à un lieu historique.
Le plus difficile est de faire un jardin en faisant penser qu’il a toujours existé, il est né avec le château, ce ne sera donc pas ce que l’on appelle un jardin à la française. C’est un projet que nous ne ferons pas seul, il faudra un peu de temps, nous avons déjà trouvé son emplacement…
Pupetières était un lieu de résidence d’été ou nos familles se rassemblaient, on se suffisait à nous-mêmes. La famille était notre univers… Que de souvenirs… Nous vivons dans un monde où tout doit aller très vite. La vie était basée sur la famille, où l’on aimait se retrouver tous ensemble avec des horaires et un respect des règles de la maison. Nos cousins venaient tous et pour nous les jeunes, nous avons passé des vacances formidables avec des souvenirs qui resteront gravés dans nos mémoires…
Aymar de Virieu
La vie est faite de projets, Si vous le faites avec passion, vous êtes porté et vous n’avez pas besoin d’énergie. Généralement, les personnes qui aiment les jardins deviennent des passionnées. C’est comme ça que nous avons réalisé la roseraie de Chaalis qui est un jardin remarquable depuis plus de 10 ans. Ici, l’eau est omniprésente, un plus pour ce futur jardin.
Nous ne savons jamais comment nous réagirons face à des événements, on m’a enseigné le respect de la vie et des autres. Nous nous battons toujours pour faire respecter nos croyances, nous sommes sur terre pour faire le bien. Il est souvent plus difficile de faire face à des difficultés qu’à les éviter… Essayons toujours de faire de notre mieux.
Vous semblez porté par une énergie qui transcende toutes les difficultés, alors que les travaux d’entretien du château sont dantesques. Est-ce l’héritage familial ou le sens du devoir qui vous aide ?
Les coups portés nous touchent bien sûr, la vie est un combat et le patrimoine historique est si grand que nous ne pouvons qu’essayer de le porter, le faire connaître, pour sensibiliser le public à l’Art de l’excellence dans tous les domaines.
Votre histoire familiale remonte à mille ans – vos ancêtres Guiffrey II et Martin de Virieu, ont participé aux grandes croisades du XIIème siècle aux côtés des rois de France, Louis VII et Philippe Auguste ! Six siècles plus tard, fin XVIIIème, François-Henri de Virieu, sera brièvement président de l’Assemblée constituante et participera à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme – dont le pupître se trouve à Pupetières, avant de mourir dans les combats sous la Révolution.
Plus proches de nous, votre grand oncle, le Marquis Xavier de Virieu, et son épouse Marie-Françoise, ont été élus “Justes parmi les Nations” plus de soixante-dix ans après avoir sauvé deux jumeaux âgés de 8 ans, Bernard et Henry Schanzer, des persécutions nazies en 1942. Cette richesse de cœur et d’esprit, fait-elle partie de l’ADN dans la famille de Virieu ? Quelles sont les valeurs qui vous tiennent à cœur ? Est-ce difficile de les transmettre ?
Géraldine, nous sommes bien sûr fiers de ces actions et je me demande souvent si j’avais été confronté à ces périodes comment aurais-je agi. Nous sommes des Chrétiens, et je pense que cela nous guide dans nos actions.
Si Viollet-le-Duc était parmi nous, qu’aimeriez-vous lui dire ?
Merci. Je lui dirais merci et lui demanderai la raison de ces décors dans chacune des pièces, pourquoi a t’il choisi ces tapisseries, j’ai l’impression qu’il s’est beaucoup amusé en décorant Pupetières, c’était certainement plus facile avec Alphonse de Virieu à Pupetières, que Napoléon III à Pierrefonds.
Si Lamartine, le grand poète du XIXème, qui aimait tant votre château et son domaine, était aussi parmi nous, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise ?
J’aurais beaucoup de questions à lui poser…
Que sont devenues les bouteilles d’Armagnac pré-révolutionnaires dont on a beaucoup parlé ?
Pour les bouteilles d’Armagnac datant de la Révolution, il doit nous rester le fond d’une bouteille et une qui est rangée précieusement dans la cave….
Une belle devise, pour finir ?
Notre devise est La force croît par le courage ou la blessure, comme tu veux.
100 route de Virieu
38690 Châbons