Kroyer_-_Summer_evening_on_Skagens_Beach._Anna_Ancher_and_Marie_Kroyer_walking_together

De la splendeur, plein les yeux. Dans un grand bleu, celui des cieux et de Peder Severin Krøyer (1851-1909). Le musée Marmottan-Monet présente, jusqu’au 25 juillet 2021, “L’heure bleue”, la première exposition monographique jamais consacrée en France à l’un des plus grands maîtres de la peinture danoise.

Tous connaissent cette heure miraculeuse, où le soleil se meurt derrière l’horizon, laissant place à un ciel d’un bleu profond. La prunelle du rêveur solitaire s’émerveille alors, en cet instant de grand calme, où la nuit avance timidement, où Vénus brille, reine dans un ciel clair, et la lune aussi. C’est l’heure où la Nuit pose un ultime baiser au soleil couchant, avant de sortir sa parure étoilée…

Mais qui connaît Peder Severin Krøyer ? L’artiste danois reste peu connu dans notre pays ; cette exposition est l’occasion de découvrir son travail splendide, que l’on peut résumer comme une quête de Beauté. La toile que vous venez d’apercevoir est son œuvre la plus célèbre, Soirée calme sur la plage de Skagen, elle a été réalisée en 1893. Ces deux femmes qui déambulent avec nonchalance sur un sable blond lumineux sont deux êtres chers au peintre : Marie Krøyer – son épouse, et Anna Ancher, une amie proche. A l’époque, les artistes se promenaient régulièrement dans ce lieu calme et sauvage à la pointe du Danemark, connue pour sa lumière extraordinaire.

Etude pour Soirée calme sur la plage de Skagen, par P.S. Krøyer.
© Art Museums of Skagen.

Krøyer faisait aussi de la photographie, et pour l’occasion, il avait transformé la réalité de son cliché, en laissant de côté les algues sur la plage, en modifiant la teinte du ruban autour de la taille de son épouse, une couleur orange vibrante, au lieu du noir, et il s’était plongé dans sa palette de bleus pour montrer une mer qui fond dans un ciel de rêve… Un paysage onirique, et romantique. L’influence des impressionnistes français est à son apogée. Elle oriente chaque trait de pinceau de l’artiste danois sur la toile.

La photo originale de Krøyer, qui va l’inspirer…

Michael Ancher, époux d’Anna et également artiste-peintre, racontera plus tard cette soirée particulière dans ses notes autobiographiques : “Nous avons bu notre café dans le jardin, puis, par une soirée estivale magnifique, nous avons marché jusqu’à la plage. Tout était paisible et calme. C’est lorsque que les deux jeunes femmes ont entamé une promenade le long de la plage, que Krøyer a eu l’idée pour l’un de ses plus beaux tableaux.

L’artiste se mettra également en scène avec son épouse, dans un décor absolu à ses yeux :

Les époux Krøyer, avec leur chien Rap, sur la plage de Skagen. © Art Museums of Skagen.

  Quand le soleil se couche, quand la lune se lève de la mer, avec les pêcheurs debout sur la plage et les couteaux naviguant avec des voiles desserrées… Ces dernières années, c’est le moment que j’aime le plus.

P.S Krøyer

Les débuts sont rudes pour l’enfant Krøyer, né en Norvège de père inconnu, le 23 juillet 1851. Confié très jeune à la sœur de sa mère – qui souffre de problèmes mentaux, il est élevé à Copenhague. Ses parents adoptifs décèlent en leur jeune garçon un talent précoce pour les activités artistiques. Il prend des cours particuliers, puis s’inscrit à l’Académie Royale d’Art, dont il sort diplômé en 1870. Il a alors 19 ans ! Il reçoit la médaille d’or, et une bourse qui lui permettra de faire des séjours réguliers à l’étranger. Sa ville de prédilection est Paris, qu’il découvre en 1877. Paris, la Ville-Lumière, aspire le jeune homme, par sa beauté et son inspiration.

Paris, rue de Rivoli, fin XIXème siècle.

La scène artistique à Paris est alors en pleine effervescence. Les géants de l’impressionnisme – Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Claude Monet (1840-1926), Edgar Degas (1834-1917), Edouard Manet (1832-1883), et Alfred Sisley (1839-1899) auront une profonde influence sur l’artiste danois, par leur technique et par leurs thèmes, nourris de vie quotidienne. Il se met alors à peindre des tableaux représentant des hommes simples – ouvriers, paysans, et surtout les pêcheurs, qui l’ont toujours fasciné :

Pêcheurs tirant la senne, 1883. © Art Museums of Skagen.
Pêcheurs sur la plage de Skagen, 1883. © Art Museums of Skagen.

C’est à Paris que Peder Severin Krøyer rencontre aussi Marie, une ancienne élève, dix ans plus tard, en 1889. La jeune femme est devenue une artiste talentueuse de grande beauté, brune aux yeux bleu océan. Il vit ainsi deux coups de foudre, l’un pour Paris et l’autre pour sa future épouse !

Marie Krøyer. © Art Museums of Skagen.

Le couple se marie la même année et part séjourner en Italie, pendant un an, avant de rentrer au Danemark. Un double-portrait des artistes-époux, réalisé en 1890, scelle leur amour fou :

Double-portrait, 1890. Peder Severin peint Marie, et Marie peint son époux. © Art Museums of Skagen

Krøyer produira un grand nombre de tableaux, représentant la vie des artistes, des scènes illustrant les plaisirs simples de la vie, souvent au clair de lune. L’heure bleue est alors omniprésente dans son œuvre. Il continuera par ailleurs de peindre à maintes reprises son épouse, leur petite fille aussi, Vibecke, née en 1895, ainsi que les filles Benzon en 1897 :

Les filles Benzon, 1897. © Art Museums of Skagen.
Hip Hip, Hurra, 1888. © Art Museums of Skagen.

Décrit comme le peintre de l’amitié et de l’allégresse, l’artiste danois aurait sans nul doute été heureux de cette grande rétrospective dans le contexte actuel. La tâche pour le musée Marmottan-Monet fut peu aisée : plus de soixante chefs-d’œuvre acheminés du musée de Skagen au Danemark –  dépositaire d’un des premiers fonds mondiaux de l’artiste – du musée de Göteborg mais aussi des musées de Copenhague, Aarhus, Alkersum/Föhr, Lübeck, Kiel, Budapest et Paris.

En raison de la situation sanitaire, les tableaux demeurent pour l’heure éloignés du regard. En attendant la réouverture du musée Marmottan-Monet, nous pouvons néanmoins admirer le travail doux et poétique de cet artiste sensible, voué aux beautés du plein air, et des soirées en bord de mer. A contempler, au son d’œuvres intemporelles comme la Sonate au Clair de Lune de Claude Debussy, un bijou de tendresse, ou encore des Nocturnes de Frédéric Chopin.

Informations pratiques

Musée Marmottant-Monet : 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris – France
Tel. : + 33 (0)1 44 96 50 33. Site web : www.marmottan.fr.

Commissaires de l’exposition : Marianne Mathieu, Directrice scientifique, musée Marmottan-Monet, Dominique Lobstein, Historien de l’art et Mette Harbo Lehmann, Conservatrice, Skagen Kunstmuseer. Cette exposition est placée sous le haut patronage de la Reine Margrethe II du Danemark.

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