Un prénom magnifique, qui vient du latin aurum, signifiant « or ». Et un destin tout autant lumineux. Diplomée à la fois de Sciences Po et du Conservatoire Royal de Bruxelles, la belle et talentueuse Auriane Sacoman a été tour à tour chef d’entreprise, cartographe et chanteuse lyrique. Elle a accompli nombre de ses rêves… L’art, le chant, reste son grand amour. Mais le parcours n’a pas été simple, comme elle nous le confie. Rencontre avec une femme courageuse et accomplie.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
Je suis née en 1987 à Paris, et depuis ma plus tendre enfance, j’ai voué une passion sans bornes à la musique. J’ai commencé le piano et le chant choral à 6 ans et tout au long de ma vie, la musique n’a cessé de m’accompagner.
Longtemps très sage et obéissante, j’écoutais mes parents qui me conseillaient de “passer mon bac d’abord”, puis de “faire Sciences Po d’abord” et de renoncer à me lancer tout de suite dans une carrière musicale comme je l’aurais voulu. Mon diplôme en poche – Master Finances et Stratégie, promo 2010, avec la sensation de la mission accomplie, je m’inscrivis donc au concours de la Royal Academy à Cardiff, où j’avais passé une merveilleuse année de césure, intégrant même le BBC Chorus of Wales, grâce auquel je pus chanter au Royal Albert Hall pour les Proms !
Hélas, mes parents, qui venaient de financer mes cinq années d’études, m’ont fait gentiment comprendre qu’il faudrait que je m’assume matériellement si je voulais toujours m’engager dans la voie artistique. Évidemment, n’ayant pas un sou, j’ai vite abandonné mes rêves de musique et de chant. La raison devait primer sur le cœur.
Farouchement attachée à ma liberté, je me suis ainsi lancée dans l’entrepreneuriat, qui était selon moi la seule voie possible pour travailler, tout en continuant à chanter, organiser mes répétitions et mes concerts. C’est ainsi que j’ai racheté une société de cartographie avec mon ex-mari, Editerra, alors que j’allais sur mes 23 ans, et que je me suis retrouvée à gérer une entreprise avec des salariés tous beaucoup plus âgés que moi, et alors que je ne connaissais rien à la cartographie, ni aux fameux logiciels de SIG (système d’information géographique).
Alors que la plupart de mes anciens camarades de promotion suivaient des trajectoires royales (L’Oréal, fonds d’investissement, banques, institutions européennes…) et alors même qu’Air France, où j’avais réalisé un stage de quelques mois me proposait un V.I.E. à New York, j’ai préféré développer ma petite entreprise. J’avais alors le sentiment de créer de la valeur et de participer concrètement à l’économie de mon pays, ce qui n’aurait pas été le cas si j’avais travaillé dans des multinationales ou des administrations, que j’ai toujours comparées à de grands murs, dont on peut retirer une briquette, un poste, sans que l’édifice ne s’effondre.
Au contraire, j’avais besoin de me sentir utile et j’aimais aussi cette polyvalence propre aux petites structures, dans lesquelles il faut être souple et réactif, capable de faire aussi bien de la comptabilité, du commercial, du juridique que du management d’équipe ou de la logistique. Mon entreprise, Editerra, réalisait principalement de la cartographie routière et éditoriale ; elle était entre autres sous-traitante pour la RATP dans la réalisation de plans de bus, de métro et de tramway.
Un quart de son activité était consacré à la cartographie aéronautique, c’est-à-dire à la confection de cartes pour les pilotes de petits avions qui volent à vue. Me piquant d’intérêt pour ce type de produit, je me suis formée sur le tas et j’ai développé toute une série de cartes aéronautiques d’Europe, du Portugal et de l’Irlande jusqu’à la Pologne et la Grèce, créant ainsi ma propre marque « Air Million ».
Mais le cœur a ses raisons que la raison ignore, et après quelques années, un mariage et un bébé, l’envie de chanter a repris le dessus…
Le chant et la musique, comme un éternel retour ! Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je me suis préparée en cachette, pour passer des concours d’entrée au Conservatoire. Afin d’éviter les problèmes de voisinage, j’allais deux fois par semaine dans la petite église anglicane de Chantilly, St Peter’s Church, où le révérend Nick Clarke, un homme formidable d’ouverture et de générosité, me permettait de répéter et d’utiliser le piano.
Et c’est ainsi qu’ayant été admise au Conservatoire Royal de Bruxelles, j’ai entamé un nouveau chapître de ma vie, abandonnant progressivement mon entreprise. Mes parents ont cessé de me parler pendant près de trois mois, suite à ce changement de vie qu’ils jugeaient catastrophique, un “caprice de petite fille gâtée”. J’ai séjourné trois années en Belgique, où j’ai obtenu un master de Chant Lyrique. Les concerts foisonnaient, je retrouvais les bancs de l’école avec bonheur, je chantais avec toute mon âme et découvrais des répertoires formidables.
Lorsque j’avais 4 ans et que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais que je voulais être cantatrice !
En 2018, je cédais définitivement les parts de mon entreprise et quelques mois plus tard, je suis devenue intermittente du spectacle et j’ai divorcé. Trop de bouleversements s’étaient produits dans ma vie et la remise en cause avait été aussi totale que brutale ; j’avais fait voler en éclat toute ma vie professionnelle et ma vie privée, ma relation à mes parents, à mon mari, je me découvrais et, pour la première fois, j’assumais ce que je voulais être et faire, sans me préoccuper du regard des autres et sans me mentir à moi-même.
S’en sont suivies quelques années d’errance, de doute, d’angoisse. Une fois sortie du Conservatoire, je n’avais finalement pas autant de travail que j’aurais souhaité comme chanteuse, je gagnais mal ma vie, je me sentais perdue, coupable d’avoir fait de ma fille une énième enfant de divorcés. La réalité de la vie d’artiste lyrique était terrible, faite d’incertitude, d’instabilité et de stress.
Le Covid a accéléré cet engrenage noir ; du jour au lendemain, je me suis retrouvée au chômage pour de bon, plus aucun engagement, plus aucune production, plus un seul concert : le néant, six mois de vide.
Alors, il a fallu se réinventer, se construire autrement. La structure que je venais de créer avec mon nouveau compagnon quelques mois plus tôt, spécialisée dans l’audio-visuel pour le secteur de la musique classique, avait pris un essor remarquable par le biais des retransmissions en direct d’événements sans public. Chronos Productions multipliait son chiffre d’affaires par dix en l’espace d’un an, et nous investissions en misant sur la qualité et la productivité.
Moi qui ne m’étais jamais intéressée à l’image de ma vie, j’ai découvert un véritable goût pour le montage. Teasers, documentaires, clips, j’accédais à un métier qui me permettait de mettre à profit mon expérience d’entrepreneur et de musicienne. Nous avons réalisé des tournages incroyables, à la Sainte-Chapelle, à l’Abbaye de Royaumont, à la Salle Cortot et à la Salle Colonne, au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris, au Théâtre d’Orléans, dans le Lavaux en Suisse…
Je suis devenue amoureuse des belles images et j’ai affuté mon regard, ne voyant désormais plus un documentaire ou un film de la même manière. Un de mes meilleurs souvenirs restera cette interview du géant du violon, Gidon Kremer, et de notre ami pianiste, Lucas Debargue, au cours de laquelle j’ai géré la prise de son, mené l’interview, maquillé et coiffé ces deux grands artistes. Polyvalence un jour, polyvalence toujours.
En 2020, le Centre de Musique de Chambre de Paris a confié à Chronos Productions la réalisation de la première retransmission en direct de son histoire, pour le concert d’ouverture de la saison 2020-21.
Vous êtes une femme aux talents multiples – chanteuse, cartographe, musicienne, entrepreneuse… Quelle est l’activité qui vous procure le plus de plaisir ?
Sans hésiter, je vous répondrai la musique et le chant. Chanter me procure une sensation et un plaisir physiques intenses. Sentir la voix résonner et s’élever permet d’atteindre une forme de transcendance qui me nourrit et m’énergise. Et puis le chant, c’est non seulement la beauté de la musique, mais aussi la beauté du texte, sa poésie, son émotion, son humour également parfois.
Chanter me procure une sensation et un plaisir physiques intenses. Sentir la voix résonner et s’élever, permet d’atteindre une forme de transcendance qui me nourrit et m’énergise.
Pouvez-vous nous décrire votre première rencontre avec la musique et le chant ?
Je suis comme Obélix, je suis tombée dans la marmite quand j’étais toute petite ! Lorsque ma maman m’attendait, elle a dû rester alitée de nombreux mois ; pour passer le temps, elle écoutait des opéras de Mozart. Lorsque j’avais 4 ans et que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais que je voulais être cantatrice !
Quelles sont les œuvres qui ont été une révélation pour vous ? Lesquelles conseillez-vous à ceux qui souhaitent les découvrir ?
Je suis une fanatique d’opéra, qui est pour moi l’art le plus complet ; avec ses chanteurs, ses musiciens, ses danseurs, ses costumes, ses décors, sa mise en scène, l’opéra est la forme d’art la plus riche, la plus proche de l’art total défendu par Wagner. Lorsque je vois une mise en scène somptueuse avec des costumes magnifiques, je suis émerveillée et j’ai l’impression d’être plongée dans un rêve. En somme, j’ai gardé mes yeux de petite fille éblouie devant les beaux princes et les belles princesses aux voix enchanteresses.
Les Contes d’Hoffman, d’Offenbach, au Palais des Beaux Arts de Charleroi.
L’opéra est la forme d’art la plus riche, la plus proche de l’art total défendu par Wagner. Lorsque je vois une mise en scène somptueuse avec des costumes magnifiques, je suis émerveillée et j’ai l’impression d’être plongée dans un rêve.
Auriane Sacoman
Après les opéras de Mozart, j’ai découvert ceux de Bizet, Verdi, Puccini, puis Wagner et Strauss. J’ai découvert aussi la musique de chambre, le répertoire pour piano seul, les grands concertos et plus tard, le répertoire symphonique. Il est difficile de parler d’une révélation car j’ai éprouvé plusieurs grands chocs musicaux dans ma vie. Ma première écoute quand j’étais adolescente du Quatuor « La Jeune et Fille et la Mort » de Schubert, du Trio élégiaque n°1 de Rachmaninov et de l’opéra « Le Chevalier à la Rose » de Richard Strauss figurent en tête de liste.
Pour tous ceux qui ont envie de découvrir l’univers extraordinaire de l’opéra, je suggère toujours de commencer par les œuvres les plus accessibles telles que la Flûte Enchantée de Mozart, composée de tubes d’un bout à l’autre, Carmen pour ceux que l’allemand pourrait effrayer et qui sont sensibles à l’exotisme hispanique ou encore les Noces de Figaro, pour les amoureux de Beaumarchais.
Quels sont vos héros personnels dans la vie ?
Je n’ai pas à proprement parler de héros, en tout cas pas de héros publics. En revanche, j’ai rencontré tout au long de ma vie et dans des contextes très différents des personnes exceptionnelles que j’admire pour leur intelligence hors du commun et leur finesse, leur immense culture, leur talent et leur courage. Ils constituent des modèles pour moi, des idéaux vers lesquels j’aimerais tendre.
Un dîner entre amis, avec la possibilité de remonter dans le temps. Quels artistes invitez-vous à table ?
Ahaha, j’adore cette question ! En fait, personne, à moins de pouvoir être une petite souris qui peut observer de loin sans participer, car je serais bien trop impressionnée ! Que voulez-vous que je puisse dire à Mozart, à Dostoïevski, à Chagall, ou même plus proche de nous à la délicieuse Audrey Hepburn ? Non, vraiment, je me sentirais complètement godiche et serais bien incapable de tenir une conversation un tant soit peu intéressante. D’autre part, j’aime garder une part de mystère et d’inconnu autour de ces héros et de ces stars que j’admire. Une rencontre dans un contexte trivial pourrait peut-être briser l’enchantement qu’ils suscitent chez moi, alors autant conserver une image positive et fantasmée.
Si demain on vous offrait la possibilité de vous produire dans un opéra, ce serait lequel ?
J’adorerais chanter le rôle de Thérèse, alias Tirésias, dans l’opéra de Poulenc « Les Mamelles de Tirésias » sur un livret de Guillaume Apollinaire. Dans le premier air du prologue, qui est très drôle et un régal à chanter, Thérèse se lance dans une diatribe contre son mari, lui disant que le ménage, la cuisine et les enfants, ça suffit, et que désormais, elle veut être soldat, artiste, président de la chose publique, mathématicienne, ou médecin… Elle parle même d’aéronautique (« Mais trêve de bêtise, ne nous livrons pas à l’aéronautique ») ! Autant vous dire que je m’identifie complètement à Thérèse, cette féministe version 1.0, qui veut que la femme puisse pouvoir étudier, travailler, être considérée : en un mot, être libre.
Je m’identifie complètement à Thérèse, cette féministe version 1.0, qui veut que la femme puisse pouvoir étudier, travailler, être considérée : en un mot, être libre.
Auriane Sacoman
Vous vous êtes lancée dans le chant, malgré les réticences de votre famille. Que représente le chant pour vous, et quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui hésitent ?
Le chant et la musique en général sont mon oxygène, ma passion. Cependant, j’ai bien conscience que la réalité économique du domaine est terriblement compliquée. Je connais beaucoup d’artistes bourrés de talents, issus des plus grands conservatoires supérieurs, dont la carrière est compliquée.
On observe une désaffection générale pour la musique classique et pour la haute culture en général ; or, ce sont des domaines qui sont structurellement déficitaires et ne rapportent pas d’argent. Sans mécènes éclairés ou sans aides publiques, ces secteurs courent à leur perte. Je comprends donc bien les réticences de ma famille, car elles s’appuient sur des constats réels et incontestables.
Toutefois, je pense que chacun doit trouver sa place et sa vocation. La vie est trop courte pour ne pas essayer de trouver cette voie, de trouver ce qui fait sens pour soi et je dirais aux jeunes de toujours chercher à se donner les moyens de choisir et d’être maître d’une partie de son destin.
Un souhait particulier ou un rêve dans votre vie pour 2023 ?
J’adorerais décrocher une nouvelle mission en Afrique anglophone cette fois. Je rêve de découvrir le Kenya, la Tanzanie et l’Afrique du Sud pour leurs panoramas exceptionnels. Un client sud-africain m’avait dit déjà il y a des années que la demande en cartographie aéronautique était forte là-bas, alors qui sait, le rêve pourrait devenir réalité !
Si Maria Callas était parmi nous, qu’aimeriez-vous qu’elle vous dise ?
J’aimerais qu’elle me chante le grand air de Tosca « Vissi d’arte, vissi d’amor » (j’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour), un air qui aurait pu être écrit sur mesure pour elle. Maria Callas le chante avec une telle ferveur, elle exprime à la fois tant de force et de fragilité, que je ne peux m’empêcher d’être émue aux larmes chaque fois que je l’entends. Je crois que j’aimerais aussi beaucoup l’entendre bavarder de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, dans le seul but d’écouter sa voix parlée, son chaleureux accent grec, et de me demander comment cette gorge est capable de receler près de trois octaves de beauté.
Je crois que j’aimerais aussi beaucoup l’entendre bavarder de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, dans le seul but d’écouter sa voix parlée, son chaleureux accent grec, et de me demander comment cette gorge est capable de receler près de trois octaves de beauté.
Concerts et productions audiovisuelles
Voici une très belle interprétation d’Auriane dans l’Horloge, poème de Baudelaire consacré à la fuite du temps, le dernier texte de Spleen et Idéal dans Les Fleurs du mal : (28) MANDON | L’Horloge op. 32 | Auriane Sacoman, soprano – Charly Mandon, piano – YouTube.
Pièce composée par Charly Mandon et enregistrée Salle Cortot en décembre 2022, quelques jours après le retour de Dakar de la jeune artiste lyrique.
Lorsqu’elle n’est pas sur scène, Auriane participe au montage et à la production de films avec son conjoint Charly Mandon. L’extrait suivant, d’un concert de la Paris Choral Society, réalisé par leur société Chronos Productions à la Sainte Chapelle de Paris, est éblouissant : https://youtu.be/YEi5jr7BvgU
Biographie
“A la fois diplômée du Master Finance et Stratégie de Sciences Po Paris et du Master de chant lyrique au Conservatoire Royal de Bruxelles, Auriane conjugue sa vie de musicienne et de chef d’entreprise. Sur scène, elle a chanté les rôles d’Olympia (Les Contes d’Hoffmann), Eurydice (Orphée aux Enfers), Javotte (Le Roi l’a dit de Léo Delibes), Mademoiselle Silberklang (Der Schauspieldirektor de Mozart) et Tonina (Prima la Musica e poi le parole, de Salieri).
Également passionnée de musique baroque, elle participe à divers festivals et concerts et interprète régulièrement les Passions de Bach, des cantates, messes et oratorios.
Avec le jeune compositeur Charly Mandon, elle forme le duo Sacomandon qui se spécialise dans le répertoire du lied et de la mélodie, notamment par le biais de la création contemporaine ; le duo se produit dans divers festivals en France et en Belgique.”
Site web : Auriane Sacoman | Soprano colorature
Mail : aurianesacoman@gmail.com
Chronos Productions, société audiovisuelle dirigée par Auriane et Charly Mandon, réalisateur et compositeur, diplômé du Master d’Écriture du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et du Master de Direction d’orchestre du Conservatoire Royal de Bruxelles : www.chronosproductions.fr
Je pense que chacun doit trouver sa place et sa vocation. La vie est trop courte pour ne pas essayer de trouver cette voie, de trouver ce qui fait sens pour soi, et je dirais aux jeunes de toujours chercher à se donner les moyens de choisir et d’être maître d’une partie de son destin.
Auriane Sacoman