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Dans la nuit du 8 au 9 juillet s’est déroulée une rencontre inédite entre deux Majestés : la Garde Républicaine, parée de ses plus beaux sabres, et Paris, éclatante de beauté dans une nuit de velours.

A quelques jours du défilé traditionnel du 14 juillet, c’est le branle-bas de combat au quartier des Célestins, à 2 heures du matin. La répétition générale doit se tenir sur les Champs-Elysées, à l’heure où s’éclipsent les dernières étoiles. Une répétition dont l’enjeu est de taille : il s’agit, cette année, de montrer le retour de la grandeur et de l’espérance, dans une France endolorie. Blessée par un virus dont personne ne veut plus entendre parler.

Place à la reconstruction, au travail, à l’amour aussi, de tout le pays. Concrètement, la Garde Républicaine doit répéter cette nuit l’escorte du chef de l’Etat, suivie du défilé des troupes présentes, de l’Arc de Triomphe à Concorde, où se situe la tribune présidentielle. Une démonstration de seize minutes, durant laquelle la prestance de la Garde tiendra la nation et le monde entier en haleine.

C’est dans la cour d’honneur que se déroulent les ultimes préparatifs autour des chevaux, qui secouent la tête et raclent le sol de leurs jolis sabots. Des dizaines d’hommes et de femmes, vêtus d’une tenue sombre, noire et élégante, s’affairent autour du maître de cérémonie : le cheval. Tintement de chaînes, claquement de bottes impeccables sur les pavés. Les selles sont fixées, les crinières brossées, les robes soyeuses, admirées… Ultimes confidences au creux de l’oreille, suivies de grandes caresses… L’ordre de départ est donné : on revêt sans tarder le casque légendaire, créé en 1876, à crinière noire pour les officiers et sous-officiers, rouge pour les musiciens de la fanfare. A l’extérieur des Célestins, une cinquantaine de cyclistes, en grande partie des membres de la famille et des amis, patientent, enthousiasmés.

Je finis par les rejoindre. Pour l’occasion, j’ai quitté Chantilly quelques heures plus tôt par le train et demandé à mes enfants, Tolstoy et Lily May, la possibilité de m’absenter pour vivre cette échappée belle dans la capitale. Ils ont approuvé, un peu surpris mais gaiement, me poussant même à me dépêcher pour ne pas manquer le train ! Ce parfum de liberté, de joie ressuscitée auprès des Gardes sur un simple vélo, je le dois à eux. Pour rien au monde je n’aurais voulu manquer cette splendeur nocturne de plusieurs heures, au rythme enchanté des sabots, comme autrefois.

Peu après 3 heures, nous partons. Le régiment de cavalerie – près de 240 chevaux, tous de selle français, est commandé par le Colonel Cortès, en tête de cortège. A la rumeur de Bastille, fourmillante de vie et de bruit, succède le calme du boulevard Beaumarchais et de son Cirque d’Hiver, qui dort comme un animal apaisé, au creux de la nuit. C’est non loin d’ici que j’habitais une chambre de bonne rue Charlot, voilà presque 30 ans… Les chevaux avancent au pas, portés avec grâce par notre escorte bienveillante. Pas un seul bruit de moteur dans l’air tiède. Sous les lumières chaudes des réverbères, la Belle Epoque, et c’est Marcel Proust que je crois apercevoir au loin… Clip-Clop, clip-clop… Les chevaux s’ébranlent calmement, dans les ombres et les rayons furtifs.

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Les 240 chevaux de La Garde Républicaine, dans les rues de la capitale endormie.

Paris la nuit, c’est quelque chose. Un coup de foudre permanent. Victor Hugo en était familier, lui qui disait au terme de seize ans d’exil : “Il faut l’aimer, il faut la vouloir, il faut la subir, cette ville frivole, légère, chantante, dansante, fardée, fleurie, redoutable…” Extrait d’une préface rédigée en 1867. On a beau vieillir, Paris nous ramènera toujours à nos vingt ans. A l’insouciance, à la joie de vivre, à la douce extase. Soudain, les chevaux près de nous s’agitent. Devant moi les vélos roulent à vive allure. La rumeur à nouveau, place de la République. Mais les voitures marquent une halte devant le passage princier des montures de la Garde. La noblesse du cheval impose retenue et silence – un moment de rêve, inattendu et solennel.

Le grand écrivain, avec ses petits-enfants, Georges et Jeanne.

Il faut l’aimer, il faut la vouloir, il faut la subir, cette ville frivole, légère, chantante, dansante, fardée, fleurie, redoutable…

Victor Hugo

A nouveau les boulevards et des terrasses, animées cette fois-ci : à 4 heures du matin la terrasse du Comptoir de Paris est bondée et des rires fusent dans tous les sens. Tous assistent médusés au passage des cavaliers, des casques et des sabres qui brillent sur des montures sublimes. Une grande vague de chaleur humaine envahit la scène. Les appareils photos immortalisent l’instant, et même les garçons de café s’y livrent bouche bée. “Vous êtes magnifiques ! On est fiers de vous !”

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Le passage de la Garde, dans les Grands Boulevards, vers 4 heures du matin.
© Dunbar

A nouveau le silence, dans un boulevard qui n’en finit pas, calme et parfaitement tranquille. Le martèlement des sabots sur le bitume, un délice pour l’ouïe. Et les casques, des centaines de casques qui brillent. Thomas Pesquet, du haut de sa station spatiale, nous regarde ébloui, très certainement. De temps à autre, nous pédalons à vive allure, juste pour voir les chevaux avancer avec grâce dans la nuit pure. Boulevard Haussmann. Ses grands magasins aux devantures colorées et ses banques, d’ordinaire affairées, dorment paisiblement. Silence ! Dame Tradition fait son apparition…!

Au bout de l’avenue Friedland, tout le monde met pied à terre, vers 4 heures et demi. La prise d’escorte doit avoir lieu peu après 5 heures. Les cavaliers se reposent quelques instants et caressent leurs chevaux, tout contents de leur ballade féerique. L’intendance n’est pas loin, avec de nombreuses bouteilles d’eau. Tout près de moi, un jeune enfant patiente à vélo, accompagné de sa maman ; il cherche son père, trompettiste dans la Garde. Sans nul doute, cette virée nocturne marquera son esprit à vie. Sons de trompettes, accords graves et aigus, les musiciens s’équipent de leurs instruments et se préparent. Soudain, un vrombissement de moteurs. Nous sommes rejoints par un détachement de 22 motocyclistes de la Garde. Leur présence, avec celle des 114 fantassins des 1er et 2e régiments d’infanterie, contribue à l’unité visuelle puissante et absolument parfaite de la Garde Républicaine.

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Un enfant, à la recherche de son père, musicien à la Garde.
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Atmosphère bon enfant, avenue Friedland, vers 4h30 du matin.
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Les Gardes, à proximité de la place de l’Etoile.
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Garde Républicaine, l’escadron de motocyclistes attend l’ordre de départ.
© Dunbar

Il est 5 heures du matin. Les chevaux ont pris place à proximité de l’Arc de Triomphe, majestueux sous un ciel bleu royal qui commence à poindre. Les motocyclistes démarrent tout doucement. Ils sont rejoints par des véhicules 4×4 des Forces Armées et les Gardes, qui se déplacent au trot, désormais loin de nous. J’ai le cœur serré. Tous contournent l’Arc, dans un élan de fierté empli d’élégance. La descente des Champs-Elysées est imminente. Les sabres, modèle 1822, sont tenus à la verticale dans les mains des Gardes. Les trompettes sonnent un air joyeux, chanté jadis par nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Un air familier et aimé dans nos campagnes françaises. Un éclat dans la nuit, qui déclenche l’amour du pays.

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Le Commandant du régiment de Cavalerie, le Colonel Cortès.
© Yaël Verdier.

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